La lecture et la datation des monnaies de l’empire romain

Tout collectionneur un tant soit peu intéressé sait lire et comprend le sens général des légendes latines apparaissant sur  les monnaies qui ont circulé ou circulent encore en son pays. En effet, les monnaies modernes d’un même type ou émises sous un monarque donné portent la plupart du temps une légende qui ne varie guère au fil des décennies. Mais cela devient beaucoup plus compliqué lorsque cette dernière change très souvent, comme sur les monnaies de l’empire romain, bien que plusieurs constantes viennent en simplifier la lecture.

Une des premières choses à savoir pour déchiffrer une légende de monnaie romaine impériale est que l’espace entre les mots, nécessaire à une compréhension rapide d’une phrase ou d’une suite de mots (dans le cas des titres de l’empereur une suite de mots ne forment pas nécessairement une phrase) est bien souvent omis! Autres choses à surveiller: les abréviations. Bien des mots sont abrégés au point de n’être constitués que de la première lettre seulement. D’autres sont formés de 2 lettres mais surtout de 3 ou plus. Par surcroît, les mots sont souvent abrégés de façon totalement arbitraire, tout dépendant de la surface de travail dont on disposait. La figure 1 montre un denier de Trajan (98 – 117) qui illustre parfaitement le phénomène.

DatationMonnaiesRomainesFigure1

Figure 1

Analysons les légendes de cette pièce en détail. À l’avers, en débutant sous le buste, avec la partie ayant la tête en bas, nous avons: IMPCAESNERTRAIANOPTIMAVGGERDACPARTHICO. Une fois les mots (ou abréviations de mots) séparés on a: IMP CAES NER TRAIAN OPTIM AVG GER DAC PARTHICO. Comme vous le constatez,  la majorité des mots sont abrégés. Avec les mots au complet nous aurions IMPERATORI CAESARI NERVAE TRAIANO OPTIMO AVGVSTI GERMANICO DACICO PARTHICO et dont voici la signification: À l’empereur césar Nerva Trajan auguste germanique dacique parthique.

Les titres de l’empereur sont les mots demeurés en minuscule dans la traduction. Tous les empereurs étaient à la fois césar et auguste car les deux grands chefs d’états ayant porté ces noms célèbres les ont légués à leurs successeurs. D’autres titres s’ajoutaient, tels ceux du revers de ce même denier – que nous verrons un peu plus loin –  et tels les trois derniers mots de l’avers: des titres relatifs aux contrées nouvellement conquises étaient régulièrement décernés à l’empereur. La campagne militaire du début de règne en Germanie valût à Trajan le titre de Germanicus, suivi d’un autre, gagné à la fin de la première des deux guerres daciques – la dernière s’étant terminée avec l’annexion de la Dacie – en plus de celui de la campagne contre les Parthes.

Il est à noter que dans ce cas-ci la légende est au datif (dans la langue latine marque la destination, l’attribution), c’est pourquoi NERVA s’écrit NERVAE (1e déclinaison), GERMANICVS et TRAIANVS sont devenus GERMANICO et TRAIANO (2e déclinaison), IMPERATOR et CAESAR, IMPERATORI et CAESARI (3e déclinaison?) et que la traduction commence par la préposition « À ». Le nom complet de Trajan était Marcus Ulpius Traianus mais il était souvent de mise porter le nom du prédécesseur devant le prénom usuel sur les monnaies. Le nom de Nerva (96 – 98) est donc aussi utilisé sur les monnaies de Trajan. Ainsi, sur notre denier, nous avons NERVAE TRAIANO mais sur d’autres pièces – pas au datif – le nom se lit NERVA TRAIAN pour NERVA TRAIANVS, comme sur le denier de la figure 2.

DatationMonnaiesRomainesFigure2

Figure 2

Notez la légende, dans laquelle NERVA est non abrégé (contrairement à NER sur la pièce de la figure 1), sans oublier GERMANICVS qui est abrégé différemment, soit GERM et non GER. Sur d’autres types monétaires, notamment certains deniers de l’empereur Hadrien (117 – 138), on retrouve G D PART en fin de légende pour GERMANICO DACICO PARTICO, ce qui montre bien la variété des abréviations utilisées. La légende complète de la figure 2 est IMPERATOR CAESAR NERVA TRAIANVS AVGVSTVS GERMANICVS (L’empereur césar Nerva Trajan auguste germanique) et nous amène à remarquer que Trajan ne porte que le premier des 3 titres attribués à la suite de ses conquêtes. Cette pièce est donc d’une frappe antérieure à celle de la figure 1. Est-ce que vous me voyez venir? On peut dater plus exactement les pièces grâce aux titres de l’empereur et maintes fois situer la frappe au cours d’une seule année!

L’absence du titre dacique nous indique que la frappe a eu lieu avant la fin de la première campagne sanglante de la conquête de la Dacie en 101-102. Le revers nous donne d’autres informations: P M TR P COS IIII P P. Cette formulation de titre est très fréquemment utilisée sur les monnaies de l’empire. Elle énumère de façon très condensée les titres principaux de l’empereur: PONTIFEX MAXIMUS TRIBUNICIA POTESTAS CONSUL QUARTUS PATER PATRIAE (Grand pontife revêtu de la puissance tribunitienne, consul pour la quatrième fois, père de la patrie). Le plus intéressant dans tout cela est la mention du quatrième consulat de Trajan. Consul en 91 sous Domitien (81 – 96), il reçoit son deuxième consulat en 98 lors de son accession au trône, son troisième en 100 (le consulat n’était pas nécessairement renouvelé à chaque année) et celui qui nous intéresse, le quatrième, en 101. Selon les outils de datation fournis dans les catalogues l’obtention du titre dacique eût lieu en 102. Les romains étaient très organisés et s’intéressaient à leur histoire, ce qui aujourd’hui nous permet d’avoir accès à des informations tout à fait précises et surprenantes.

Le denier de la figure 2 a donc été frappé en 101! En ce qui concerne celui de la figure 1, toujours à l’aide des tableaux donnant les dates d’attribution de chacun des titres, COS VI (au revers en haut) implique une frappe non antérieure à 112 mais c’est l’avers qui contient l’information la plus précise: OPTIMVS (le meilleur) depuis 114, Trajan est PARTHICVS en 115 jusqu’à sa mort le 8 août 117, ce qui nous laisse avec une petite fourchette de trois millésimes pour la frappe. Enfin, les lettres S P Q R en fin de légende sont des abréviations pour SENATVS POPVLVS QUE ROMANVS (le Sénat et le Peuple romain) mais cela ne sert en rien notre cause…

L’usure et les faiblesses de frappe peuvent fortement augmenter le niveau de difficulté de lecture. Par chance, des parties de légende peuvent être devinées en raison de leur fréquence d’utilisation. Par exemple, si vous examinez une monnaie sur laquelle P M est bien lisible, suivi d’une suite de lettres brouillées et enfin XVII COS VI P P, la partie illisible doit nécessairement se lire TR P, le résultat complet étant PM TR P XVII COS VI P P (Grand pontife revêtu de la dix-septième puissance tribunitienne, consul pour la sixième fois, père de la patrie).

La puissance tribunitienne peut aussi servir à dater exactement une monnaie. Prenez ce denier de Caracalla (figure 3). Les inscriptions PONTIF TR P III (Pontife revêtu de la troisième puissance tribunitienne) agrémentent le revers. Fils aîné de Septime Sévère (193 – 211), Caracalla (ainsi surnommé, de son vrai nom Marcus Aurelius Antoninus) est né le 4 avril 188. Il est nommé auguste en avril 198 et devient détenteur de sa première puissance tribunitienne. Il est co-empereur avec son père. Le 1er janvier 199 il reçoit sa deuxième puissance tribunitienne et elle fut renouvelée à chaque année jusqu’à sa mort en 217. Ce magnifique exemplaire frappé en 200 arbore le portrait très réaliste d’un enfant âgé de 12 ans.

DatationMonnaiesRomainesFigure3

Figure 3

Après Constantin (306 – 337) un nouveau titre apparaît: les lettres DN pour DOMINUS NOSTER (notre seigneur) précèdent le nom de l’empereur. Sachant cela, on ignore ces caractères et le nom devient lisible pour identification. Méthode originale et efficace, la répétition d’une lettre d’abréviation dénote le pluriel (sur les monnaies seulement, la langue latine faisant plutôt varier la désinence des mots). Ainsi, DDNN peut être employé au revers pour DOMINORVM NOSTRORUM (nos seigneurs) et parallèlement, AVGG dans PAX AVGG par exemple, est utilisé pour PAX AVGVSTORVM (la paix des augustes).

Il est bien beau de comprendre la signification des légendes et de dater de façon plus exacte les monnaies impériales, encore faut-il être capable de lire les caractères! Le fait de connaître quelques rudiments de l’alphabet latin aide sensiblement le collectionneur à lire les légendes. Il n’y a pas de U en latin: le V était utilisé autant pour la voyelle (devenue le « u » en français, se prononce « ou ») comme dans MVRVS (mur) que pour la consonne (devenue le « v » en français, se prononce comme notre « w ») comme dans SEVERVS (sévère). Le J n’existait pas non plus: le I était utilisé autant pour la voyelle (devenue le « i » en français, se prononce « i ») comme dans PONTIFEX (pontife) que pour la consonne (devenue le « j » en français, se prononce comme notre « y ») comme dans IVLIVS (Jules). Finalement, il n’y a pas de W et les lettres  K, Y et Z sont très rarement utilisées. Un petit supplément: le C (comme dans CAESAR) se prononce toujours « k », aussi surprenant que cela puisse paraître.

Il est fréquent de confondre une lettre avec une autre à cause du style. Attention à la lettre P qui a souvent la partie inférieure très courte et ressemble beaucoup à la lettre D. Le G et le C portent souvent à confusion. Le R peut être confondu avec P ou B. Les deux parties du M sont parfois éloignées l’une de l’autre ce qui fait qu’il est quelquefois difficile à interpréter. Un H presque fermé en haut peut être vu comme un A et inversement, un A ouvert fait voir un H. Il arrive aussi que la barre du A soit absente. Le E est parfois presque fermé et fait penser à un B ou à un F. Le I, le L et le T sont très semblables lorsque la barre du T est courte ou que les empattements sont longs. Les images de cet article permettent de visualiser ces effets.

Alors à vos pièces, prêts, partez!

Sources:

Michel Prieur et Laurent Schmitt – MONNAIES XIII vente sur offre. Paris, 2001.

David Van Meter – The handbook of Roman Imperial coins. Utica, New York, 2000.

La frappe au balancier monétaire (son entrée en scène, sa mécanique et son remplacement)

Appareil inventé vers le milieu du 16e siècle, le balancier monétaire était appelé ainsi parce qu’il utilisait un balancier et servait à la frappe des monnaies. On attribue son invention à un orfèvre allemand du nom de Marx Schwab vers 1540 ou 1550, mais le titre pourrait bien revenir à Donato Bramante (1444–1514), un architecte italien qui fut apparemment le premier à utiliser un balancier – ou presse à vis, comme nous le verrons plus loin – pour frapper des médailles. Léonard de Vinci (1452–1519) y apporta des améliorations et inventa un laminoir pour faire des bandes de métal d’épaisseur uniforme et un découpoir pour en extraire des flans.

Benvenuto Cellini (1500–1571) utilisa des appareils de chacun de ces types pour frapper des médailles et plus tard, des pièces de monnaie. Malheureusement pour les Italiens, ces inventions furent importées d’Allemagne par Henri II, roi de France (1547–1559), qui avait entendu dire qu’un orfèvre d’Augsbourg avait inventé des machines qui pouvaient fabriquer des pièces de monnaie parfaitement rondes avec des tranches bien lisses. Les rogneurs et les faux–monnayeurs n’auraient qu’à bien se tenir! Le roi envoya ses représentants acheter l’équipement pour 3000 écus et ceux–ci les amenèrent à Paris. Il semble que l’équipement contenait tout ce que les Italiens avaient conçu: des laminoirs et des découpoirs pour la préparation des flans et des presses à vis pour la frappe.

Ils furent installés à un endroit qui s’appellera la Monnaie du Moulin. Ces équipements auraient été utilisés pour la première fois en France en 1551. Leur usage resta très limité sûrement en raison de l’opposition féroce des ouvriers monnayeurs dont le savoir-faire manuel était indispensable pour la frappe au marteau. Pas étonnant que l’entrée en scène du balancier fut si difficile: avec la frappe au balancier, plus besoin de travailleurs spécialisés pour la frappe proprement dite, le résultat est de qualité bien supérieure et l’ensemble est beaucoup plus homogène. Les ouvriers de la frappe au marteau voyaient dans ces machines la fin de leur art et leur quantité de travail diminuer.

En 1554, après avoir entendu parler de ces nouveautés, les officiels de la Tour de Londres installèrent de la machinerie similaire, mais furent incapables d’en tirer des monnaies avec succès. En 1561, Éloye Mestrelle, un employé de la Monnaie de Paris partit pour l’Angleterre. Cherchant du travail lucratif, il informa les autorités anglaises que pour certaines considérations il fabriquerait des monnaies avec les nouvelles méthodes. Les ayant convaincus, il fut embauché, importa ou fit construire les équipements nécessaires et malgré l’opposition violente des ouvriers monnayeurs jaloux, il battit monnaie pendant onze ans.

Étonnamment cependant, même si les émissions produites selon ses méthodes furent de meilleure qualité que celles faites au marteau, la fabrication s’avéra beaucoup plus lente. Il fut congédié en 1572 et la production de monnaies anglaises frappées au balancier cessa. Il commença alors à utiliser ses machines à des fins personnelles et le pauvre homme fut pendu pour contrefaçon en 1578.

En 1585 les partisans français de la frappe au marteau obtinrent des décrets officiels restreignant l’utilisation de la nouvelle machinerie à la frappe des médailles. Il y eut quand même quelques types frappés au balancier durant le premier quart du 17e siècle notamment, mais rien pour mettre en péril le monopole des ouvriers de la vieille méthode. Après avoir dessiné de l’équipement amélioré, Nicolas Briot, maître graveur à la monnaie de Paris tenta en 1616 de faire avancer les choses, mais en vain. Il fut attaqué férocement et la persécution ne se termina que lors de son départ pour l’Angleterre en 1625.

Bien installé à la tour de Londres, il fut autorisé à mettre au point de la machinerie pour frapper des médailles. En 1629 il pût les expérimenter pour battre monnaie. Dès 1632 il fut nommé maître graveur et à partir de cette date jusqu’en 1638, il produisit des pièces d’or et d’argent. Comme de raison, la quantité frappée avec le nouvel équipement ne représentait qu’un faible pourcentage de la production totale. Une autre bataille fut menée pour l’utilisation de la machinerie sous Olivier Cromwell (1649–1660), par un autre français, Pierre Blondeau, mais toujours pour n’émettre que de petites quantités par rapport au reste.

Ce n’est que près d’un siècle après ses débuts que le balancier s’impose définitivement pour remplacer la frappe au marteau pratiquée depuis plus de 2000 ans. En France il faudra attendre la fin du règne de Louis XIII (1610–1643) pour voir enfin imposer, à partir de 1642, l’usage systématique de cette technique de frappe mécanique sous la pression du graveur général Jean Warin (1604–1772), d’abord à Paris et dans l’ensemble des ateliers monétaires du royaume par la suite. Warin ayant amélioré la productivité de la machinerie, la frappe au marteau fut interdite.

En Angleterre c’est finalement lorsque Charles II (1660–1585) ordonne soudainement le 17 mai 1661 que toutes les monnaies d’or et d’argent devront dorénavant être frappées avec la nouvelle machinerie, que l’on obtient l’adoption définitive du balancier. Pierre Blondeau, qui était retourné en France après la mort de Cromwell, est rappelé à la tour de Londres en novembre. Au début l’année 1662 le roi convoque les trois frères Roettiers (encore des français!) et les pièces d’or et d’argent commencèrent dès lors à être produites en quantité abondante selon les nouvelles méthodes.

balancierfrancais1831En bref, le balancier monétaire se composait d’un arbre posé sur un socle, portant une vis verticale à filets carrés pas très allongés dont la partie supérieure portait un levier horizontal (le balancier) constitué de deux bras en bois ou de barres de fer ou bien d’acier aux extrémités duquel se trouvaient fixées deux masses très lourdes sous la forme de boules de plomb. À la partie inférieure de la vis se trouvait le coin mobile ou de trousseau (coin d’effigie ou d’avers ou supérieur, côté face) qui venait frapper le flan posé sur le coin fixe ou d’enclume (coin d’écusson ou de revers ou inférieur, côté pile).

La presse à vis verticale avec filets carrés permettait d’agir non seulement par la pression mais aussi par le choc (la percussion du flan par les coins) car on obtenait un mouvement de descente rapide – et donc en fin de parcours une pression plus forte, adéquate pour la frappe – en exerçant une vive traction sur chacune des extrémités du levier actionné par plusieurs hommes (parfois même des chevaux) à l’aide de lanières ou courroies attachées à des anneaux.

Comme nous l’avons vu, le coin d’avers est fixé sur la partie descendante (partie mobile) de la machinerie. En conséquence, c’est donc sur la face supérieure du flan (le futur avers de la monnaie) que s’exerce la pression la plus grande car la perte d’énergie cinétique – qui est fonction de la masse et de la vitesse – résultant du choc du coin supérieur se traduit par une déformation persistante du flan, une production de son et de chaleur. La quantité d’énergie absorbée par l’avers lors du choc est plus grande que la quantité absorbée par le revers, plus éloigné. Ce que l’avers ne peut absorber se transmet au reste du flan. Le côté le mieux frappé, le plus coupant doit être celui de l’effigie du souverain car la monnaie est le meilleur moyen de propagande qui soit: un souverain a du pouvoir là où circulent les monnaies qui portent son effigie.

La virole, anneau plat en acier qui empêche le flan de s’étendre inégalement et de façon incontrôlée en maintenant le flan immobile lors de la frappe, se développe en même temps que l’usage du balancier. Cette bague à surface un peu large favorise une frappe plus nette: le métal monnayé par écrasement du flan n’a d’autre choix que de pénétrer les moindres recoins des motifs en creux des coins et de se compacter sur le pourtour intérieur de la virole, permettant de bénéficier d’une tranche parfaitement lisse. Dans le cas des monnaies dont la tranche comporte des motifs, on a recours à la virole brisée, une virole portant en creux les cannelures, les dessins ou les lettres à marquer mais fractionnée en trois secteurs ( ! ) lesquels s’écartent au moment de l’extraction de la pièce.

Pour obtenir un relief positif sur les monnaies – comme de nos jours – les coins présentaient en creux (en négatif) les reliefs que devaient comporter l’avers et le revers de la pièce. Déjà au 17e siècle les coins sont faits de cylindres d’acier trempé: les coins se doivent d’être d’un métal plus dur que ceux utilisés pour les monnaies… Au début, les poinçons maîtres sculptés en relief par le graveur étaient solidifiés et servaient à fabriquer directement les coins à l’aide des plus grosses presses à vis (plus puissantes) car l’acier trempé est très dur.

Plus tard, au 18e siècle, les poinçons maîtres (en relief) servaient de la même façon à fabriquer les matrices (en négatif) et celles–ci servaient ensuite – toujours avec les plus lourdes presses à vis – à fabriquer les poinçons (en relief) qui à leur tour, par le même procédé, voyaient leur image s’imprimer en creux sur les coins. Une autre façon de faire consistait à graver les motifs directement en creux dans l’acier fabriquant ainsi des matrices maîtresses au lieu de poinçons maîtres. Les matrices étaient utilisées pour fabriquer les poinçons qui eux servaient à confectionner les coins. Pour que les coins puissent recevoir les motifs avec les détails les plus complets, plusieurs passes étaient nécessaires et chaque fois on devait chauffer l’acier pour l’amollir un peu pour éviter qu’il ne devienne fragile.

Souvent les légendes étaient ajoutées directement sur le coin, à coups de marteau, à l’aide de petits poinçons fabriqués pour les différentes lettres dont les motifs s’imprégnaient en creux. Cela explique le grand nombre de variétés des pièces de l’époque: les coins avaient une durée de vie assez limitée et un autre coin signifiait automatiquement un emplacement différent pour chacune des lettres. Les éléments principaux pouvaient être retouchés avant chaque étape, nous donnant alors des portraits ou éléments d’avers et de revers montrant quelques subtilités.

Aujourd’hui les étapes sont plus nombreuses et les lettres des légendes sont ajoutées plus tôt, ce qui fait qu’il n’y a pratiquement pas de différence perceptible sur les pièces de toute une année de frappe: tous les coins sont identiques et sont fabriqués à partir de poinçons identiques et ainsi de suite. Le nombre de pièces frappées avec un coin donné étant assez élevé et le nombre de coins fabriqués avec un poinçon étant respectable, le tout multiplié par le nombre de ces poinçons (identiques eux aussi car fabriqués à partir d’une seule matrice), rend compte du nombre astronomique de pièces identiques.

Au 19e siècle la presse monétaire à vis – le balancier – disparaît peu à peu : en Grande Bretagne c’est vers la fin du 18e siècle que les premières pièces frappées avec une presse monétaire actionnée par une machine à vapeur furent émises. Matthew Boulton l’ingénieur et James Watt l’inventeur (voir l’article MATTHEW BOULTON LE VISIONNAIRE) la mirent au point et l’utilisèrent pour la toute première fois en 1786.  C’est seulement à partir de 1797 qu’on utilisera la puissance des machines à vapeur pour frapper les monnaies officielles de cuivre du royaume, contrat que Boulton attendait depuis si longtemps.

En 1799, la Russie fit l’achat d’un ensemble de machines à vapeur développées par Boulton & Watt pour la frappe des monnaies. Quelques années plus tard le Danemark et l’Espagne firent de même. En 1813 (5 ans après la mort de Boulton avec qui le gouvernement britannique avait signé des contrats pour les frappes de cuivre de 1797, 1799 et 1806–1807) la Royal Mint de Londres convertit enfin ses installations pour utiliser la vapeur. Plus tard, au début des années 1830’s c’est au tour de la France de se moderniser en utilisant des presses mues par la vapeur, mais montées selon un principe différent et plus performant qui va rapidement s’imposer comme la méthode la plus efficace de l’époque.

Ce système, appliqué par le brillant ingénieur Thonnelier, utilisait la pression exercée par un levier au lieu de celle de la vis du balancier (perfectionné par Gingembre en 1803) encore utilisé en France à cette époque. On doit cette invention à un ingénieur allemand du nom de Dietrich Uhlhorn, vers 1830. Les États–unis étaient au courant de cet avancement dans la production des monnaies et en mai 1833 la Monnaie de Philadelphie envoya en France Franklin Peale (alors assistant essayeur) pour y étudier les techniques de production. Peale fit des dessins and prit les mesures d’une presse avec la collaboration complète et entière de l’hôtel de la Monnaie. En retour, il supervisa plusieurs améliorations substantielles pour en augmenter l’efficacité.

Le directeur de la Monnaie aux États-Unis Robert Maskell Patterson et le secrétaire du trésor Levi Woodbury ne furent pas difficile à convaincre: il fallait un seul homme pour opérer deux des nouvelles presses à vapeur au lieu des trois requis pour chacune des presses à vis de cette époque, et par surcroît, le travail se faisait beaucoup plus rapidement. La version américaine de cette innovation technique entra en service le 23 mars 1836 à Philadelphie. Ces presses furent plus tard actionnées par l’électricité, se rapprochant ainsi de plus en plus des presses monétaires actuelles.

Bibliographie:

–– Encyclopédie Diderot & D’Alembert, Monnayage – Travail de l’or : Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques, avec leur explication (Tours, 2002)

–– Nouveau Larousse Illustré, Dictionnaire universel encyclopédique (Paris, 1904)

–– Dictionnaire de Numismatique, édition Larousse (Paris 2001)

–– Walter Breen, Dies and Coinage (Chicago, 1975)

–– Encyclopedia Britannica  (London, 1961)

–– Allan Hailstone, Coincraft’s 1999 Standard Catalogue of English and UK Coins 1066 to Date (London, 1999)

Description des gravures tirées de l’Encyclopédie Diderot & D’Alembert, Monnayage – Travail de l’or.

balancierSchema

La gravure représente le balancier des monnaies mû en A et en B par des hommes; celui en C est occupé à faire marquer les flancs. DD, le balancier. E, la clé du balancier. GG, les cordages, FF, les contre–poids du balancier. H, la presse. I, la vis. K, la tige de conduite. L, le crampon. MM, les platines de conduite. N, la matrice de l’effigie. O, la matrice de l’écusson. P, la manne aux flancs non marqués. Q, la manne aux flancs marqués.

Figure 1 : Vis. A, la tête. B, la vis à filet carré. C, le touret.

2 : Tige de conduite. AA, les rainures. B, la tige. C, la boîte. DD, les trous des vis.

3 : Platine de conduite. AA, les trous carrés.

4 : Platine de conduite. AA, les trous carrés.

5 : Petites boîtes de tôle pour le touret.

6 : Boîte pour la matrice de l’écusson. AA, les trous pour les vis.

7 : Platine qui se pose sur la matrice de l’écusson pendant la marque. A, le trou carré.

8 : Matrice d’effigie. A, la tête acérée où est l’effigie.

9 : Matrice d’écusson. A, la tête acérée où est l’écusson.

10: Crampon boulonné. A, le crampon. B, le boulon, C, la clavette.

11: Presse. A, l’écrou. BB, les branches. C, le support. DD, les trous pour l’arrêter sur le billot.

 

Les jetons de la Compagnie de la Baie d’Hudson

Les découvreurs et les premiers explorateurs du nouveau monde et les colons qui suivirent se rendirent vite compte que les Amérindiens et les Inuits n’avaient que faire de leur argent. Ces derniers voulaient surtout des fusils, de la poudre à fusil, du tabac, des pots, des casseroles, des couvertures de laine et des outils comme des couteaux et des haches. Ils savaient bien sûr utiliser les pierres tranchantes et les morceaux de coquillage mais ils ne duraient pas longtemps. À cette époque, le troc était de mise avec les autochtones.

Le commerce des fourrures est présent depuis aussi longtemps que les gens portent des vêtements. Cependant rien n’aura été comparable au commerce des fourrures tant en Europe au 16e siècle qu’au cours des 17e, 18e et 19e siècles en Amérique. Le castor d’Europe ou castor d’Eurasie (l’Europe et l’Asie ensemble) a été chassé de façon abusive jusqu’à ce que l’espèce soit près de l’extinction en Europe. Des petits groupes ont survécu grâce au développement de la traite des fourrures initié par Champlain au début de la colonisation en Nouvelle-France.

La Compagnie des Marchands de Rouen et de Saint-Malo (1614-1620) fondée par Champlain et la Compagnie de Caen (1620-1621), qui furent forcées de fusionner sous le nom de Compagnie de Montmorency  (1622-1627) en plus de la Compagnie des Cent-Associés (fondée par Richelieu en 1627 et dont Champlain fut le lieutenant de 1629 à 1635) se virent tour à tour attribuées le monopole de la traite des fourrures en Nouvelle-France. Elles établirent des postes de traite dans la vallée et le golfe du Saint-Laurent. Le commerce allait bon train et les castors d’Europe ont pour ainsi dire été sauvés par les castors canadiens, qui a long terme en payèrent le prix.

La chasse et la trappe au castor que pratiquaient les Amérindiens pour leurs besoins personnels s’intensifia avec l’arrivée des premiers postes de traite. Ils le chassaient alors aussi pour se procurer des biens de nécessité en échange, tout comme les explorateurs et les coureurs des bois. De toute évidence l’argent européen était bien inutile à ces gens avides d’aventures et de découvertes. La peau de castor qui prenait de plus en plus de valeur commença ainsi à s’imposer comme standard dans les échanges.

Mais pourquoi le castor était-il tant demandé et avait-il tant de valeur ? À cause du feutre.

Le feutre est un tissu (étoffe) faite de poils d’animaux agglomérés ensemble par pression et ébouillantage. On le fabrique en arrachant et mélangeant d’abord les poils. Par la suite on les presse et on les traite avec des produits chimiques dans un bain d’eau bouillante. Une fois sec, le feutre peut être découpé et taillé. Il a de la valeur car il est imperméable, malléable et n’use pas rapidement.

L’utilisation des fourrures pour faire du feutre a probablement débuté en Asie centrale. On trouva que le feutre durait longtemps et qu’il était fabriqué assez facilement. Les nomades en fabriquaient avec de la fourrure de chèvre, de mouton, de chameau et d’autres animaux pour faire leur tentes.

Le feutre existait déjà chez les Chinois, les Grecs et les Romains de l’Antiquité. Ils utilisaient le feutre comme couverture pour les chariots ou pour rembourrer selles et armures afin de bloquer les flèches : un feutre épais les stoppe plus efficacement que le cuir. Après la fin de l’empire romain au 5e siècle les techniques de sa fabrication se sont perdues en Europe occidentale. Il semble que les croisés les aient ramenées de Constantinople.

L’usage du feutre progressa par la suite de façon remarquable aux 12e et 13e siècles en Europe occidentale où il supplanta les cuirs et les fourrures. Ces derniers, plus chers, n’offraient pas toujours une bonne protection contre la pluie et la neige. Une botte de feutre par exemple, pratiquement imperméable, reste sèche à l’intérieur tandis qu’une botte de cuir glisse et se détrempe dans la neige.

Les Européens chassaient le castor et en consommaient la viande. Ils le chassaient aussi pour une autre raison : le castoréum. Le castoréum est une sécrétion huileuse et odorante produite par des glandes sexuelles du castor situées près de l’anus. Il lui permet de délimiter son territoire et de rendre son pelage imperméable. Cette substance utilisée en médecine et en parfumerie est connue depuis l’Antiquité.

Mais on chassait principalement le castor pour sa fourrure afin de confectionner des gilets et des chapeaux pour l’hiver. Au 17e siècle, une nouvelle mode en Europe, les chapeaux à bordures larges (en feutre de castor) inspirés de ceux portés par les soldats suédois durant la Guerre de Trente Ans (1618-1648), fit exploser la demande pour les fourrures de castor : les articles à la mode tels ces chapeaux demandent beaucoup de feutre.

Demande qui n’était déjà pas banale : au Moyen Âge et à la Renaissance, les chapeaux en feutre de peau de castor sont déjà très appréciés. En Europe, pour se protéger contre le froid, la pluie et le soleil, rois, reines, courtisants, nobles, et autres portent presque tous un couvre-chef, et ce hiver comme été. En plus de jouer un rôle de protection, le chapeau d’apparat affirme le statut social. Il est devenu par la suite un accessoire de mode à part entière.

Au même moment le castor européen était en voie d’extinction car il avait été surexploité en Europe. Une des meilleures fourrures pour fabriquer le feutre est celle du castor : elle donne un feutre doux et lisse. On dut donc se tourner vers l’Amérique. En raison de la raréfaction de l’espèce, la fourrure de castor prit encore plus de valeur. Le castor était victime de la qualité de ses poils.

La peau de castor s’imposa donc comme standard de monnaie d’échange en Nouvelle-France. Il fut confirmé dans ce rôle avec la venue de la Compagnie de la Baie d’Hudson (depuis 1670) et de la North West Company (1783-1821) qui l’utilisèrent comme unité standard de commerce dans leurs réseaux de postes de traite respectifs. La standardisation fut encore renforcée après la fusion des deux compagnies en 1821 : bien qu’elle variait quelque peu d’une région à l’autre et selon la saison, sa valeur était à peu près la même partout en Amérique du Nord, le réseau s’étendant alors du Labrador au Pacifique et de la Californie aux glaces polaires.

Avant d’aller plus avant, voyons comment se déroulait la chasse au castor sur le nouveau continent.

Les Amérindiens et les trappeurs chassaient le castor pour sa viande et le castoréum. Étant très odorant, ils utilisaient ce dernier pour attirer dans leurs pièges les prédateurs du castor tel que le lynx, le loup, la martre et le carcajou. Chassé bien sûr par-dessus tout pour sa fourrure avec laquelle on alimentait l’insatiable marché européen, le castor canadien a aussi failli disparaître d’Amérique du Nord au 19e siècle !

Il est facile d’avoir une idée de la rafle des animaux à fourrure qui sévissait dans toute l’Amérique du Nord à l’époque. En ce qui a trait au nombre de peaux exportées du Canada, le castor était le plus touché mais certaines années il arrivait deuxième (et parfois troisième) derrière le raton laveur ou le cerf comme le montrent ces statistiques de 1787 : raton laveur (140 346), castor (139 509), cerf (102 656), martre (68 142), loutre (26 330), ours (17 109),  vison (16 951), wapiti (9 816), loup (9 687), renard (8 913) et phoque (125).

En plus de la Grande-Bretagne, ces peaux  étaient exportées en Russie, Prusse, Allemagne, Hollande, Belgique, France, Italie, Turquie, Chine et aux États-Unis. On ne sait pas très bien comment, mais le castor a survécu et aujourd’hui on estime sa population à plus de 10 millions d’individus en Amérique du Nord. Protégé dans la plupart des pays d’Europe, il a fait l’objet de nombreux programmes de réintroduction.

Le commerce des fourrures suivait les saisons. En hiver, la meilleure saison, la fourrure est à son épaisseur maximale et est bien fournie. Une fois la fourrure enlevée elle devait être préparée. Elle devait d’abord être bien tendue sur un cadre de bois ou par terre avec des piquets. L’intérieur de la peau devait être raclé pour enlever toute chair et toute matière grasse.

On l’enduisait ensuite d’une mixture de cervelle cuite ou de foie pour empêcher la peau de se putréfier (arrêt du vieillissement des cellules). Cette étape s’appelle le tannage. Après quelques jours la peau était lavée et étirée encore une fois. Elle était finalement frottée avec une corde tressée serrée jusqu’à ce qu’elle soit sèche et douce.

Au printemps, les peaux de castor étaient envoyées aux manufacturiers en Europe. Les poils les plus gros étaient utilisés pour les couches internes des chapeaux et enduits de vernis pour les imperméabiliser. Les plus petits servaient pour couvrir l’extérieur. La peau elle-même servait à faire des gants, des valises et de la colle. En août et septembre les fourrures étaient transformées en vêtements prêts pour la vente lorsque l’hiver arrivait.

Je crois que nous en savons maintenant assez pour entrer dans le vif du sujet.

Le standard monétaire implanté par les compagnies de traite était le « made beaver » (abréviation MB) qui en français pourrait se traduire par peau de castor préparée. La peau de castor préparée est une peau de castor adulte en parfaite condition (fourrure bien fournie) et prête pour la vente sur les marchés européens. Elle devait préalablement être nettoyée, étirée et convenablement tannée. Il semble que le terme « skin » (peau) ait aussi été utilisé par les trappeurs.

Pour avoir une idée de ce que valait le « made beaver », voici les équivalences de plusieurs marchandises de la North West Company par rapport au « made beaver » :

1 MB = 3/4 de livre de perles colorées 1 MB = 1 1/2 livre de poudre à canon
1 MB = 1 bouilloire en laiton 1 MB = 2 livres de sucre
1 MB = 1 gallon de brandy 1 MB = 2 verges de flanelle
1 MB = 12 douzaines de boutons 1 MB = 1 paire de hauts-de-chausses
1 MB = 1 paire de soulier 1 MB = 20 pierres de silex
1 MB = 8 couteaux 1 MB = 2 paires de lunette
1 MB = 2 hachettes 1 MB = 20 hameçons
1 MB = 1 couverture 4 MB = 1 pistolet
1 MB = 2 chemises 11 MB = 1 mousquet

Nous sommes en droit de nous demander comment le trappeur et l’agent désigné au poste de traite faisaient-ils pour fonctionner en MB. Habituellement, après s’être entendus sur la valeur (en MB) du butin que le trappeur voulait échanger, on s’entendait sur les objets à utiliser pour représenter les unités de cette valeur. Cela pouvait être des bâtonnets, des disques d’ivoire, des balles de mousquet, des épines de porc-épic etc. Certains objets pouvaient désigner des multiples de 10 ou 50 par exemple, si besoin était. L’équivalent de la valeur lui était donc remis.

Ensuite, riche de ses jetons (monnaie d’échange convenue) le trappeur pouvait faire ses achats au petit magasin. Les prix étant tous indiqués en MB, les jetons étaient échangés contre des marchandises et fournitures au fur et à mesure qu’il les choisissait. Mais qu’arrivait-il lorsqu’il ne parvenait pas à utiliser tous ses jetons ? Les conservait-il pour la prochaine fois ? Le commis n’avait d’autre choix que de consigner le montant de crédit dans des livres.

Cependant, cette méthode n’était pas des plus sûres. Par ailleurs, de 1820 à 1870 la Compagnie de la Baie d’Hudson émit son propre papier-monnaie. Imprimés à Londres, les billets dont les coupures étaient en livres sterling furent émis à « York Factory », « Fort Gary » et à « Red River colony ». Ils sont très rares : étant donné qu’ils étaient émis par la compagnie pour utilisation dans ses postes de traite, la grande majorité des billets étaient détruits une fois retirés de la circulation. Nous en savons très peu sur ces derniers.

Une solution au problème de la remise au comptant fut trouvée. S’il n’achetait pas pour l’équivalent de ses fourrures, le trappeur recevrait des jetons pour le manque à gagner. Il pourrait ensuite les utiliser quand bon lui semblerait. Les jetons seraient ni plus ni moins qu’une preuve de note de crédit.

JETONS DU DISTRICT DE EAST MAIN.

East Main District TokensLes premiers jetons officiels de la Compagnie de la Baie d’Hudson sont l’œuvre de George Simpson Mctavish de Fort Albany en 1854. On pense qu’ils furent utilisés à partir de 1857. Ils auraient été frappés à Birmingham et les coins auraient été gravés par Henry Smith. Les coins qui ont servi à les frapper sont conservés dans les archives de la compagnie. En plus de promouvoir la compagnie, ces jetons avaient l’avantage d’être émis en plusieurs dénominations dont 3 en fraction de MB, ce qui permettait de remettre le change.

Faits en laiton (ou cuivre jaune, alliage de cuivre et de zinc) ces jetons ont été frappés pour utilisation dans le district de East Main. Ce district de la compagnie se situait au sud et à l’est de la Baie d’Hudson (Nord de l’Ontario et du Québec). Il y a 4 dénominations : 1 MB (30 mm), 1/2 MB (27 mm), 1/4 MB (24,5 mm) et finalement 1/8 MB (19 mm).

À l’Avers : les armoiries de la compagnie avec la devise PRO PELLE CUTTEM (« A skin for a skin » que l’on peut traduire par « peau pour peau » : les trappeurs risquaient leur peau – leur vie – pour se procurer des peaux).

Au revers : sur 4 lignes, HB (Hudson’s Bay)  /  E  M (East Main)  /  1 (dénomination : 1, 1/2, 1/4 ou 1/8)  /  N  B (pour « Made Beaver », le N au lieu du M est, semble-t-il, une erreur du graveur.

Certains de ces jetons portent la marque circulaire d’un petit poinçon au bas du revers. Pendant plus d’un siècle les numismates croyaient que c’était une marque d’annulation après utilisation. On pense maintenant que c’était pour les distinguer. Ceux avec la marque de poinçon ont été utilisés au poste de Moose Factory.

Dans une lettre datée du 29 avril 1867, James Anderson, agent au poste de Moose Factory, demanda au gouverneur de la compagnie la permission d’utiliser de la monnaie dans son district. La réponse du gouverneur et de son comité (datée du 24 juin) suggéra à la place que les jetons non utilisés du district de East Main soient envoyés sur le champ à Moose Factory. Le 5 septembre Anderson répondait que les jetons reçus faisaient l’affaire et qu’il allait les faire marquer pour les distinguer.

JETONS DU DISTRICT DU LABRADOR.

Labrador district TokensUne autre série de jetons, en aluminium ceux-là, firent leur apparition entre 1914 et 1918. Ils furent émis pour le district du Labrador par un employé de la compagnie, Ralph Parsons. Dès 1909 il avait émis des jetons sous forme de morceaux de métal quelconques marqués avec son nom. Il devint plus tard commissaire du commerce des fourrures. Ces jetons furent utilisés jusque dans les années 1920 avant que ne soit émise la série suivante. On les retrouve en 4 dénominations : 1 MB (21 mm), 5 MB (25 mm), 10 MB (29 mm) et 20 MB (32 mm).

À l’Avers : HUDSON’S BAY COMPANY en grosses lettres sur plus de la moitié du pourtour, LABRADOR DISTRICT sur deux lignes droites dans le bas et la dénomination au centre (1, 5, 10 ou 20) mais pas de MB.

Au revers : pratiquement rien excepté une mince ligne concentrique près du listel

JETONS DU DISTRICT DU SAINT-LAURENT ET LABRADOR.

St-Laurence Labrador distrct Tokens

Les districts du Saint-Laurent et du Labrador furent amalgamés en juin 1922. Suite à cet événement, vers 1923 de nouvelles séries de jetons en aluminium furent introduites. Il y a en effet deux séries de jetons différentes : une avec légendes aux petites lettres et l’autre avec légendes aux grosses lettres. Ces variétés se distinguent aussi par les différents symboles se trouvant au bas de chaque côté. Comme pour la série précédente, ils sont au nombre de 4 dénominations : 1 MB (22 mm), 5 MB (25 et 26 mm), 10 MB (29 mm) and 20 MB (32 mm).

À l’Avers : ST. LAWRENCE LABRADOR DISTRICT sur presque tout le pourtour, à l’intérieur du cercle perlé. La dénomination se trouve au centre (1, 5, 10 ou 20) et M.B. (Made Beaver) en dessous. Les symboles dans le bas varient selon le type. Type avec petites lettres : 1 MB (pas de symbole), 5, 10 et 20 MB (un point entre deux tirets). Type avec grosses lettres : 1 MB (un gros point), 5 MB (un astérisque), 10 MB (trois gros points alignés), 20 MB (un cercle accosté de deux losanges allongés).

Au revers : HUDSON’S BAY COMPANY sur presque tout le pourtour, à l’intérieur d’un cercle perlé. La dénomination se trouve au centre (pas de M.B.). Les symboles dans le bas varient selon le type. Type avec petites lettres : 1 MB (un losange), 5, 10 et 20 MB (un losange dont les coins de chaque côté se terminent par un trait horizontal). Type avec grosses lettres : 1 et 5 MB (un astérisque), 10 MB (trois gros points alignés), 20 MB (un astérisque accosté de deux losanges allongés).

JETONS DE L’ARCTIQUE DE L’EST.

Arctique de est Tokens V0

Une dernière série de jetons en aluminium fut utilisée de 1946 à 1961 ou 1962. Complètement différents des précédents, ils sont frappés sur un seul côté et les motifs sont en creux. Le design est très simple : on y retrouve l’acronyme de la compagnie (les lettres H B C) épousant la forme du pourtour dans le haut et la dénomination plus bas, en gros chiffres. Ils ont été émis en 5 dénominations basées sur le système monétaire décimal canadien actuel, soit 5, 10, 25, 50 et 100 cents (le mot cents n’apparaît pas sur les jetons). Leur diamètre est de 20, 26, 32, 38 et 45 mm respectivement.

One WHite Fox Tokens V0Un jeton carré de 45 mm avec les coins arrondis vient compléter cette série. On trouve les lettres H B C alignées dans le haut et le chiffre 1 au centre en dessous. Il est aussi frappé sur un seul côté avec les motifs en creux. Il valait 1 renard arctique (« white fox » ou « arctic fox »). Le renard arctique était devenu le nouveau standard de commerce dans l’arctique : le marché du castor étant sur le déclin, le renard arctique était plus approprié.

Il semblerait que ces jetons ont été émis pour jouer un rôle d’éducation auprès des esquimaux qui n’étaient pas familier avec le système décimal canadien. Un trappeur amenant ses fourrures au poste de traite recevait l’équivalent de la valeur en jetons carrés (renards arctiques). Ceux-ci étaient ensuite échangés contre les jetons circulaires (en dollar et cents) et le trappeur pouvait ainsi « acheter » (comme on le fait maintenant) les produits qu’il désirait, au lieu de les échanger.

Sources:

  • Wikipedia, source d’information de toute sorte.
  • Le site des Archives du Manitoba.
  • Canadian Medals and Tokens, Calagry Coin Gallery (site Internet).
  • Divers autres sites Internet.
  • Canadian Colonial Tokens, 7th edition, The Charlton Press, 2010.
  • L’encyclopédie Grolier, Édition Uni-Cana, 1954.

Les banquiers de l’aube du système bancaire

Au moyen âge, la multiplicité des monnaies a nécessité la mise en place de changeurs qui fixent le cours des espèces en fonction du poids de métal pur qu’elles contiennent. Le changeur évalue les monnaies sur les places commerciales où se côtoient des négociants de tous pays et effectue le change. Il spécule en achetant la monnaie sur une place et en la vendant sur une autre où cette même monnaie remonte.

Vers la fin du moyen âge, le commerce était en pleine expansion partout en Europe et le nombre de pièces différentes en circulation toujours aussi grandissant. Ce boom du commerce vit la profession de changeur devenir très lucrative et se répandit alors des pratiques qui se développèrent plus tôt en Italie au 12e et 13e siècle à Venise, Gênes et Florence. Au 14e siècle le maniement de l’argent par les riches familles de ces villes États est déjà une impressionnante activité: les compagnies à base familiale pratiquent à la fois l’industrie, le commerce et la banque…

Le changeur, qui pèse et vérifie les nombreuses monnaies métalliques pour les convertir en monnaie locale accepte les dépôts d’or et d’argent pour rendre service aux marchands. Lors d’un dépôt il promet au marchand de le payer sur demande en monnaies de valeur égale. Les changeurs ont ainsi inventé les livres de compte à double entrées ou comptes en T: ils notaient la valeur des monnaies en dépôt d’un côté et le montant dû à la personne ayant effectué le dépôt de l’autre.

Au début, l’acheteur devait aller voir son changeur, retirer en or et en argent la somme dont il avait besoin et donner ensuite le tout au vendeur. Le vendeur devait ensuite aller voir son changeur pour déposer les même monnaies. On se rendit compte que cela était dangereux et loin d’être pratique. Pour éviter de transporter de lourdes et grosses sommes sur de longues distances l’acheteur et le vendeur se mirent à se rencontrer à la table d’un seul changeur pour faire la transaction.

Plutôt que de compter l’argent pour le remettre au vendeur, le changeur débitait le compte de l’acheteur (le débiteur) et créditait le compte du vendeur (le créditeur). De cette façon le paiement était fait sans qu’aucune monnaie métallique ne change de main. Les commerçants récupéraient leurs avoirs respectifs à la fin de la journée ou même quelques jours plus tard.

Un autre moyen de faire une transaction sans faire intervenir immédiatement les espèces métalliques était la lettre de change ou traite, un ordre de paiement écrit par lequel un souscripteur (appelé tireur), ordonne à une autre personne (le débiteur ou tiré), dont il est le créancier, de verser à telle personne dénommée (le bénéficiaire) et à une date donnée la somme indiquée qui lui est due. L’usage de ce nouvel instrument de paiement se répand partout en Europe durant le 14e siècle.

En France les changeurs, qui détenaient le monopole du commerce des métaux précieux, changeaient les monnaies étrangères, défectueuses ou démonétisées moyennant certains droits qu’ils percevaient. Bien que la législation le leur interdisait (la charge était attribuée par lettres royales et n’était accordée qu’à un petit nombre d’individus placés sous la juridiction et la surveillance de la Cour des monnaies), grâce à l’accumulation des capitaux provenant de leurs commissions ou en se servant des dépôts, les changeurs faisaient crédit (prêtaient). Toutes ces opérations sont à l’origine de plusieurs des plus grosses fortunes de l’époque royale.

La plupart des affaires du changeur se faisaient en plein air où il installait sa table (une table de banc, une planche de bois sur 2 tréteaux) en fréquentant les grandes foires du Moyen âge. En Italie ce petit comptoir mobile était appelé « banca », racine étymologique du mot banque et premier pas vers la création des institutions portant ce nom. Le terme banqueroute, viendrait de l’italien « banca rota » (table de banc brisée ou cassée), bien que je n’ai trouvé que « rottura » (briser, casser) et « rotto » (brisé, cassé) et le terme anglais « bankrupt », de l’adaptation « banca rupta » du latin « ruptura » (rupture) ou « ruptus » participe passé de « rumpere » (rompre). L’expression a pris son origine de la tradition de briser la table du changeur lorsque ce dernier était incapable de remettre l’argent demandé par ses déposants.

Pour faciliter son travail, le changeur utilisait des tables de conversion des monnaies. Ces tables donnaient la quantité d’or et d’argent que chaque monnaie devaient contenir et la valeur en devise locale. À l’aide de sa balance, il pesait et testait aussi le poids des monnaies en utilisant ce qu’on appelle des poids de changeur. Ces objets ressemblent beaucoup à des pièces de monnaies car ce sont des disques métalliques frappés habituellement en cuivre jaune avec des motifs variés mais surtout des mots, des lettres et des chiffres représentant la valeur de la pièce correspondante. Par exemple, ce poids de changeur de la fin du 18e siècle (voir illustration) utilisé pour le ½ moidore en or du Portugal frappé de 1690 à 1722 qui a circulé longtemps en Grande-Bretagne.

Le moidore, évalué à 4000 reis au Portugal valait 27 shillings en Grande-Bretagne. Son demi valait donc 13 shillings et 6 pence, exactement ce que les symboles S (pour shilling) et D (pour penny) et les chiffres 13 et 6 indiquent. Les symboles £, s et d (pound, shilling et penny) sont des abréviations des mots « libra », « solidus » et « denarius » utilisés dans des documents médiévaux après la conquête normande de 1066 où la livre anglaise fut divisée en 20 shillings. Différents modèles de poids de changeurs britanniques existent pour le ½ moidore et certains portent  (en plus de la valeur) une date et/ou la dénomination de la pièce à tester. Ma curiosité numismatique n’est qu’un exemple. Il y en a pour le moidore et ses autres divisions, d’autres encore pour les monnaies de d’autres pays et il en va de même pour ces autres pays, dans lesquels les changeurs doivent eux aussi tester le poids des diverses monnaies qui y circulent.

En 1606, probablement en raison de certains problèmes de conversion (les changeurs devaient sûrement être pris au dépourvu de temps en temps) le parlement hollandais simplifia la circulation des monnaies étrangères en émettant un manuel pour les changeurs dans lequel étaient listés le poids et la pureté de 341 types de pièce d’argent et 505 types de pièce d’or. Je ne sais toujours pas comment ils effectuaient leur travail. Pesaient-ils les pièces identiques en lot? Pesaient-ils toutes les pièces qu’on leur apportait? Le travail me semble colossal. À tout le moins fallait-il trier et compter les pièces.

Les changeurs remplissaient donc, comme nous l’avons vu, le rôle de banquiers du moyen âge. Cependant les banques modernes ont des ancêtres plus directs: les orfèvres de Londres. Ceux-ci commencèrent à louer l’espace disponible dans leurs voûtes. Une personne qui apportait ces monnaies en métal précieux chez un orfèvre recevait un reçu indiquant le montant déposé, le nom du déposant et le nom de l’orfèvre, ce qui permettait au déposant de récupérer ses avoirs lorsqu’il en avait besoin. Ils avaient développé le système bancaire avec réserve à 100%. Ce n’est plus le cas de nos jours.

Ils s’aperçurent rapidement qu’à l’aide des fonds laissés en dépôt ils pouvaient faire des prêts et qu’au lieu de faire payer des frais aux déposants ils pouvaient leur accorder de l’intérêt. De plus, au lieu remettre des espèces à leurs emprunteurs, ils leur donnaient des billets, simples promesses de paiement qui se mirent aussi à circuler dans le public. Au début, un acheteur se rendait chez l’orfèvre avec son reçu de dépôt ou sa promesse de paiement, obtenait les espèces et les remettait au vendeur.

Souvent ce dernier se rendait chez son orfèvre (futur banquier), déposait les espèces et recevait en retour un reçu de dépôt… Avant longtemps, assez tôt au cours du 17e siècle, les reçus de dépôt circulaient en remplacement des espèces métalliques car les gens les utilisaient pour effectuer des paiements: les premiers billets de banque modernes étaient nés. L’acheteur devait endosser le reçu de dépôt et le donner au vendeur qui pouvait dès lors aller chercher son dû chez l’orfèvre (presque banquier) mentionné sur le document et déposer le tout en retour d’un nouveau reçu de dépôt…

Éventuellement ces « billets » vinrent à changer de main plusieurs fois, chaque propriétaire endossant le dit « billet » avant de le remettre à une autre personne. Il circulait. Les banquiers (anciens orfèvres) émirent par la suite des promesses de payer au porteur sur demande, le montant indiqué en monnaies d’or ou d’argent. Ce sont les premiers véritables billets de banque sous la forme de coupures de montants pratiques. Ils n’avaient plus besoin d’être endossés car ils étaient payables au porteur.

Les premières banques modernes pratiquèrent aussi les dépôts au livre (« book deposit »). Le dépôt au livre est un dépôt qui est noté dans le livre de comptes de la banque payable sur demande sans émission de reçu. Dans le dernier quart du 17e siècle les banques permirent aux marchands et aux riches clients de faire des paiements par chèque. Un chèque est un ordre par lequel une personne demande à la banque de payer à une personne désignée une somme mentionnée à partir de ses dépôts au livre. Des entrées comptables sont ajoutées au livre et les comptes sont à jour sans qu’aucune monnaie métallique n’ait changé de main. Les premiers chèques remonteraient à 1670. En 1960 le plus ancien ayant été conservé était daté du 11 juillet 1676.

La Compagnie de la Baie d’Hudson

La Compagnie de la Baie d’Hudson (de son vrai nom actuel Hudson’s Bay Company ou HBC) a été incorporée le 2 mai 1670. La charte royale signée à Whitehall Palace par Charles II roi d’Angleterre (1660-1685) accordait à la compagnie le monopole de la traite des fourrures, de la pêche et des mines en plus d’autres privilèges comme le pouvoir de gouverner avec ses propres lois, de les faire appliquer et d’imposer des peines sur un vaste territoire correspondant à plus du tiers du Canada actuel qui s’étendait même jusque dans le centre Nord des États-Unis, la Terre de Rupert (Rupert’s Land).

Ce Territoire de 3.9 millions de kilomètres carrés, le bassin hydrographique de la Baie d’Hudson, fut défini lors de l’incorporation comme « la région baignée par tous les fleuves et rivières se jetant dans la Baie d’Hudson » et a été nommé ainsi d’après le Prince Rupert, cousin de Charles II. C’est à lui, le 1er gouverneur de la compagnie (1670-1682) et à ses partenaires (les propriétaires de la compagnie) que la charte royale octroyait le monopole de la traite des fourrures.

La charte existe toujours et est aujourd’hui conservée dans les bureaux chefs de la compagnie à Toronto. On peut y lire le premier nom officiel de la compagnie, soit « The Governor and Company of Adventurers of England trading into Hudson’s Bay » (Le Gouverneur et la Compagnie des Aventuriers d’Angleterre trafiquant dans la Baie d’Hudson). La compagnie est la plus vieille corporation en Amérique du Nord et une des plus vieille dans le monde. Il fut un temps où elle fut la plus grande propriétaire de territoire du monde entier.

L’aventure débuta lorsque Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart des Groseilliers, explorateurs français, apprirent de la part des indigènes que le meilleur endroit pour la trappe des castors était une vaste région inexploitée au nord-ouest du Lac Supérieur, et qu’il y avait une mer gelée encore plus loin au nord. Devinant qu’il s’agissait de la Baie d’Hudson, ils pensèrent avec raison que faire le commerce à cet endroit serait plus facile, évitant ainsi de transporter les fourrures loin dans les terres comme le faisait les Français.

Après avoir ramené plus de 100 canoës remplit de fourrures de la région du Lac Supérieur, les deux explorateurs reçurent un accueil des plus consternant de la part du gouverneur de la Nouvelle-France à leur retour dans la colonie en 1660 : n’ayant pas obtenu de permis pour la traite des fourrures au préalable, le précieux butin fut confisqué et ils furent mis à l’amende. Des Groseilliers fut même emprisonné un certain temps. Il retourna en France afin d’obtenir justice et intéresser les autorités françaises à leur projet de développement du commerce des fourrures dans le Nord-Ouest.

Sa tentative échoua. Il partit alors avec Radisson pour Boston, espérant du financement de la part des autorités de la Nouvelle-Angleterre pour leur futur expédition dans la Baie d’Hudson. Autre échec. Ils firent cependant connaissance avec un colonel anglais nommé George Cartwright. Ce dernier trouva avec raison que le plan tenait la route et vers 1665 les amena en Angleterre où le Prince Rupert accepta finalement de les financer. Le 5 juin 1668 ils partirent de Deptford, Angleterre avec 2 navires marchands pris en location par le Prince Rupert.

A bord du Eaglet, commandé par le capitaine William Stannard, Radisson fut forcé de rebrousser chemin vers le port de Plymouth en raison de sévères tempêtes au large des côtes irlandaises. Il semble que l’autre navire, le Nonsuch, commandé par le capitaine Zachariah Gillam et à bord duquel se trouvait Des Groseilliers eût moins de problèmes. Il continua vers l’ouest comme prévu afin d’arriver dans la Baie d’Hudson par le nord. En plus d’être plus courte, cette nouvelle route avait l’avantage d’éviter le fleuve Saint-Laurent contrôlé par les Français.

Après une expédition couronnée de succès à l’hiver de 1668-69 durant laquelle en 1668 ils fondèrent Fort Rupert à l’embouchure de la rivière Rupert (les deux nommés d’après le sponsor de l’aventure), les explorateurs revinrent en Angleterre. La richesse du territoire en fourrures convainquit Charles II de permettre aux deux acolytes et leurs associés de faire concurrence aux français qui détenaient jusque-là le monopole des fourrures en Amérique. C’était là une occasion à ne pas manquer.

En 1673, Moose Factory, un poste de traite situé au sud de la Baie James à environ 11 milles de l’embouchure de la rivière du même nom (Moose River), fut construit. C’était le second poste de traite établi en Amérique du Nord, seulement précédé de Fort Rupert, premier poste de traite et premier magasin de la compagnie. Tous deux furent capturés par les Français en 1686. Ce ne fut pas avant 1776 que la compagnie rétablisse Fort Rupert au même endroit.

Les Français se retirèrent finalement de Moose Factory (renommé Fort St-Louis) et le fort fut détruit en 1696. Un nouveau poste fut établi en 1730 et la compagnie l’opéra jusqu’en 1987, soit lorsque la « Northern Stores Division » de la HBC fut vendue à un groupe d’investisseurs qui la relancèrent dans les années 1990 sous le vieux nom de « North West Company ».

Il est évident que les conflits entre l’Angleterre et la France en Europe donnaient prétexte à des raids de la part des deux nations dans lesquels les belligérants s’échangeaient les forts. La guerre de la Ligue d’Augsbourg (1686-1697) au cours de laquelle plusieurs pays d’Europe faisaient front commun contre la France alors à son apogée en est un bon exemple.

En 1694, avec Pierre Le Moyne d’Iberville, les Français prirent même York Factory (nommé d’après le duc de York et siège social de la compagnie en Amérique du Nord jusqu’en 1957) avant que les Anglais le reprennent l’année suivante. En 1697, après avoir remporté la bataille navale de la Baie d’Hudson en faisant subir la défaite à trois navires de guerre de la « Royal Navy », d’Iberville captura le fort à nouveau.

La paix de Ryswick (1697) fut de courte durée car en 1700, Louis XIV roi de France (1643-1715) accepta le testament de Charles II roi d’Espagne (1665-1700), qui léguait son trône sans héritier à son petit-fils Philippe, duc d’Anjou. Cet événement mena directement à la guerre de Succession d’Espagne (1701-1713). Elle prit fin avec le traité d’Utrecht (1713) dans lequel l’Acadie est cédée à la Grande-Bretagne, soit l’Angleterre et l’Écosse, royaumes unifiés depuis peu (1707) mais gouvernés par un même souverain depuis 1603.

Le traité d’Utrecht confirme aussi la possession exclusive de la Baie d’Hudson aux Anglais, ainsi que Terre-Neuve. Ces terres ne sont pas cédées par la France : elles ne lui appartenaient pas, bien qu’elle eût arraché des forts dans le Nord et conquis en grande partie l’île de Terre-Neuve dans les années 1690, grâce au talentueux d’Iberville. Colonie anglaise formellement réclamée par Sir Humphrey Gilbert en 1583, Terre-Neuve conserva ce statut jusqu’en 1907 où elle devint un dominion (1907-1949), tout comme le Canada.

Ses avoirs étant sécurisés, pendant 60 ans la compagnie érigea presque exclusivement des postes de traite aux embouchures des rivières les plus importantes se jetant dans la Baie d’Hudson. Le traité de Paris (1763) qui mit fin à la guerre de 7 ans (1756-1763) fit perdre à la France pratiquement toutes ses possessions en Amérique. Cela élimina toute concurrence jusqu’à ce que vers la fin du 18e siècle on vit naître la « North West Company ».

La « North West Company » fut établie à Montréal par des anglophones en 1779. Au tout début, la compagnie n’était qu’une association de marchands montréalais mécontents qui se demandaient bien comment briser le monopole de la « Hudson’s Bay Company » qu’ils contestaient. À l’hiver de 1783-84 la « North West Company » fut véritablement créée et fit surtout sentir sa présence dans ce qui deviendra plus tard l’Ouest canadien.

Les Montréalais organisèrent un système de convoi de canoës réguliers de Montréal vers les plaines de l’Ouest et même jusqu’aux futurs Territoires du Nord-Ouest. Ce faisant, ils construisirent une longue chaîne de postes de traite à travers l’Ouest. Cela a été rendu possible grâce à des explorateurs qui travaillèrent pour le compte de la compagnie dont le plus célèbre est Alexander Mackenzie.

En 1789, espérant trouver le passage du Nord-Ouest vers le Pacifique, Mackenzie descendit jusqu’au bout, (en canoë !) le fleuve qui sera nommé en son honneur. Le plus long du Canada (deuxième en Amérique du Nord), il prend sa source dans le Grand lac des Esclaves et se jette dans la mer de Beaufort, dans L’Océan Arctique.

En 1793 il traversa les terres à travers les Rocheuses vers l’ouest jusqu’à l’Océan Pacifique, qu’il atteignit le 20 juillet. Ce fut la première traversée documentée du continent au nord du Mexique.

Simon Fraser, responsable de toutes les opérations de la compagnie montréalaise à l’ouest des montagnes Rocheuses depuis 1805 (incluant la construction des premiers postes de traite de la région), explora en entier (1808) le fleuve qui plus tard portera son nom, le fleuve Fraser. Le plus long de Colombie-Britannique, il prend sa source dans les Rocheuses et se jette dans le Pacifique à Vancouver.

Les explorations de Fraser sont en partie responsables de l’établissement de la frontière canadienne sur le 49e parallèle à l’ouest des Rocheuses car il fut le premier à y faire ériger des installations permanentes. Le traité de l’Oregon (signé le 15 juin 1846) prolongea jusqu’au Pacifique le tracé de la frontière sur le 49e parallèle nord fixé lors de la Convention de 1818 pour l’Est des Rocheuses. Ce tracé scindait alors en deux la région appelée « Oregon Country » disputée entre le Royaume-Uni (anciennement la Grande Bretagne) et les États-Unis.

Plusieurs canadiens français vinrent travailler pour la « North West Company ». Les autochtones préféraient négocier avec les Français et de façon générale la HBC n’ouvrait ses portes qu’à des Anglais. Leur marché se développa donc très rapidement. La concurrence fut des plus féroce : le commerce ayant diminué, en 1774 la HBC était entrée dans une phase d’expansion dans les terres, vers l’ouest. Les deux compagnies vivaient une intense rivalité qui quelques fois dégénéra jusqu’à la violence et au meurtre.

La tension devint insoutenable et des incidents comme la bataille de la Grenouillère (en anglais, « Seven Oaks Massacre ») qui fit environ 20 morts le 19 juin 1816, menèrent les dirigeants à trouver une solution définitive. La fusion était inévitable. Elle eût lieu en 1821. Le nom de la « North West Company » ne fut pas conservé. Le territoire combiné des compagnies fusionnées fut étendu par une licence. Il atteignait alors l’Océan Arctique au nord et l’Océan Pacifique à l’ouest. La HBC contrôlait donc un immense territoire qui allait du Labrador au Pacifique et de la Californie aux glaces polaires. Son commerce s’étendait sur 7 770 000 km2.

Ajoutant à cela les différentes traditions des deux compagnies, des changements furent requis dans la structure administrative. Le commerce pour l’Amérique du Nord britannique fut divisé en départements, eux-mêmes divisés en districts. Les directeurs des districts se rencontraient annuellement dans des conciles départementaux présidés par le gouverneur de la compagnie en Amérique du Nord. Ils discutaient de stratégies, de déploiement des postes de traite et des hommes, de même que de la logistique requise dans chacun des districts.

Durant les années 1820 et 1830 les trappeurs de la compagnie étaient très impliqués dans l’exploration et le développement du Nord de la Californie. Ils étaient souvent les premiers à explorer ces territoires. Nous sommes à même de constater que les compagnies de traite des fourrures, leurs employés, partenaires et clients ont joué un grand rôle dans le développement et la colonisation du pays.

L’exploration des territoires inconnus, la construction des premiers établissements permanents de même que le développement de petites communautés tout autour (avec l’affluence des personnes impliquées dans le commerce, des agriculteurs et autres) ont conduit les postes de traite à devenir le centre de l’activité économique en plusieurs endroits. Avec l’arrivée du chemin de fer dans le dernier quart du 19e siècle, plusieurs postes de traite de l’Ouest canadien devinrent le noyau de nouveaux villages et petites municipalités. Le réseau des postes de traite éloignés les uns des autres a contribué de manière importante à unifier la nation canadienne.

La compagnie, qui détenait le pays presque en entier a contribué d’une autre façon à en faire ce qu’il est actuellement. En 1869 elle acceptait d’abandonner ses droits territoriaux avec la signature de l’Acte de Cession (Deed of Surrender) qui faisait suite à loi de 1868 sur la Terre de Rupert (Rupert’s Land Act). Cette loi habilitait Sa majesté (la reine Victoria) à accepter sous condition la cession des terres, des droits et des privilèges de la compagnie de la Baie d’Hudson en Amérique du Nord en prévision de l’adhésion du territoire correspondant au Dominion du Canada. Ce qui fut fait en 1870 en échange de 300 000 livres sterling, de droits miniers sur les terres autour des postes de traite et d’une portion fertile de l’Ouest canadien.

Tout cela avait débuté en 1867 lorsque le Dominion du Canada fut formé. Le gouvernement ne voulait pas que les Américains réclament les terres dans l’Ouest et envoya George-Etienne Cartier à Londres pour demander les droits sur la terre de Rupert. Il est pour ma part incompréhensible que la compagnie ait accepté un si petit montant contre des millions de km2 de territoire, même en tenant compte de l’époque.

Il est vrai cependant que le commerce des fourrures était moins florissant. Vers 1840 il avait déjà commencé à diminuer et le castor canadien de même que le bison d’Amérique du Nord étaient presque en voie d’extinction au 19e siècle. La demande pour les peaux de luxe comme le vison et le phoque demeurèrent mais vers 1870 le commerce des fourrures n’était plus une industrie majeure comme autrefois. La compagnie devait se tourner vers d’autres sources de revenus.

Dans les années 1850 déjà, en raison de l’affluence aux postes de traite on voit poindre à l’horizon les magasins à rayons. Chaque poste était pourvu d’un petit magasin dans lequel les trappeurs pouvaient échanger leurs fourrures ou tout simplement acheter les fournitures dont ils avaient besoin. Un poste où passe beaucoup de gens a besoin de quantité de produits que l’on devait placer sur de grandes étagères afin de suffire à la demande. Pour accommoder les clients de toute sorte, la marchandise devint de plus en plus diverse.

Par exemple, durant la fièvre de l’or du fleuve Fraser, la vente de produits alimentaires, d’équipement divers et de licences de prospection (ces dernières à 5$ par personne) fit croître le besoin d’une économie monétaire au lieu d’une économie seulement basée sur l’échange de fourrures et autres commodités. James Douglas, alors agent principal (en anglais, « chief factor ») du département de Columbia, écrivait en 1858 que la farine, le bacon, les haricots, les outils miniers (importés de San Francisco), les couvertures et les vêtements de laine étaient les articles les plus vendus à Fort Langley, et que les ventes oscillaient autour de 1500$ par jour.

Le chiffre d’affaire d’un poste de traite grandissant, le petit magasin se retrouve dans un bâtiment dans lequel il occupe tout l’espace. Il est désigné sous le nom de « saleshop » (magasin général). Vers la fin du 19e siècle la compagnie commença à transformer ses postes de traite en « saleshop ». La vente au détail prenant encore plus d’importance, les magasins sont indépendants des postes de traite et sont bâtis sur des terrains prévus à cet effet. Ainsi naissent les grands magasins à rayons ou « department stores ». Le premier de tous ouvre ses portes à Winnipeg, Manitoba en 1881. Pour la compagnie, c’est le début d’une ère nouvelle.

En 1910, la compagnie entreprit l’expansion et la rénovation de ses magasins de vente au détail. Durant cette période, plusieurs autres grands magasins à rayons seront inaugurés dans l’Ouest canadien : Kamloops (1911), Calgary (1913), Edmonton (1913), Vancouver (1914), Victoria (1921), Saskatoon (1922) et Winnipeg (1926). Beaucoup plus grand et bâtit à un autre endroit que celui de 1881, ce dernier accueillit 50 000 personnes lors de son ouverture le 18 novembre. Jusque dans les années 1960 les magasins à rayons s’appelaient « Hudson’s Bay Company Stores ». En 1965 leur nom fut changé pour « The Bay » (les magasins La Baie que nous connaissons).

De 1670 à 1970 les gouverneurs de la compagnie étaient anglais et basés à Londres. En 1970, lors du 300e anniversaire, le siège social fut transféré de Londres à Winnipeg, ici au Canada. À l’exception de plusieurs milliers d’actionnaires, la compagnie n’a plus de présence au Royaume-Uni et son gouverneur est un canadien. En 1974 la direction centrale déménagea à Toronto, tandis que le siège social demeura à Winnipeg jusqu’en 1990 où il fut déménagé lui aussi dans la Tour Simpsons à Toronto d’où la compagnie opère aujourd’hui.

Les archives de la compagnie, conservées dans les bureaux de Londres depuis ses débuts furent transférées à Winnipeg en 1974 lorsque la compagnie accepta de les prêter à long terme aux Archives du Manitoba. L’accès à cette impressionnante collection fut accordé au public l’année suivante. Contenant des trésors d’information sur approximativement 2 kilomètres linéaires, elles documentent les événements journaliers de près de 500 postes de traite ainsi que les voyages dans l’Atlantique, l’Arctique et vers le Pacifique. Évaluées à près de 60 millions de dollars, la HBC les donna de manière permanente à la province du Manitoba en 1994.

Après qu’elle eût acquis les magasins Zellers en 1978, la compagnie détenait la plus grande chaîne de vente au détail du pays. Acquis par la compagnie en 1979, les magasins Simpsons furent convertis en magasins La Baie une décennie plus tard, soit en 1989 pour ceux de Montréal et 1991 pour ceux de Toronto. De nos jours la « Hudson’s Bay Company » est le nom de la corporation canadienne qui détient les magasins La Baie, Zellers, Home Outfitters (Déco Découverte) et Fields. Elle opère plus de 630 points de vente au détail situés dans chaque province du Canada avec près de 70 000 employés et des revenus de 7,4 milliards de dollars en 2003.

Depuis 2006, pour la première fois de son histoire la HBC appartient à des intérêts américains. Jerry Zucker en fit une compagnie privée en la radiant du TSE après avoir complété l’achat de toutes les actions. À sa mort en 2008, sa veuve Anita Zucker en hérita et devint la première femme gouverneur de la HBC. La même année la compagnie est vendue à NRDC Equity Partners (NRDC), une firme d’investissement privée qui la contrôle via sa société de portefeuille américaine privée, Hudson’s Bay Trading Company (HBTC). Richard A. Baker, président du conseil et chef de la direction, et président et chef de la direction de NRDC en est le gouverneur.

Sources:

  • Le Site officiel de la Compagnie de la Baie d’Hudson.
  • Wikipedia, source d’information de toute sorte.
  • Le site des Archives du Manitoba
  • Le site du ministère de la justice du Canada.
  • Divers autres sites Internet.
  • La chronique du Jeton, Bulletin de la SNQ, décembre 2004.
  • L’encyclopédie Grolier, Édition Uni-Cana, 1954.
  • Le grand Larousse Encyclopédique, Larousse, 1960.

Les monnaies de l’empire romain, plus près de nous que l’on imagine!

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les monnaies modernes ont telles ou telles caractéristiques et  d’où viennent-elles? Vous serez surpris d’apprendre qu’il n’y a pas eu grand changement au sujet des pièces de monnaies durant les deux derniers millénaires! Vous me voyez sans doute venir avec mes grands chevaux (tirant un chariot rempli de monnaies romaines!) et vous pourriez objecter que les techniques ont grandement évolué depuis. Peut-être, mais le résultat est à peu de chose près toujours le même. En ce qui concerne techniques utilisées aussi, on revient à la base préconisée par les maîtres de l’art sous l’empire romain (27 avant J.-C. – 476 après J.-C.) car les étapes de fabrication, semblables encore aujourd’hui  – avec quelques ajouts ici et là –  ne sont que de plus en plus raffinées et automatisées . Il faut mentionner qu’il y a eu une fort longue période (dès après le milieu du 3e siècle de notre ère jusqu’à la fin de la renaissance) que j’appellerais de régression et de stagnation, quant à la qualité du produit dont les numismates classiques sont si friands aujourd’hui. Cela n’était que partie remise car les connaissances et le désir d’atteindre une certaine perfection momentanément perdus furent retrouvés petit à petit à partir du 16e siècle lors des derniers soubresauts de la frappe au marteau dans les puissances économiques du temps comme La France et l’Angleterre.

Il y a moins de trois-quarts de siècle les monnaies d’or circulaient encore en Amérique et dans le monde entier. Il y a un peu plus d’un quart de siècle les monnaies d’argent aussi. Il n’y a pas si longtemps, des monnaies de cuivre ou en alliage de cuivre comme le laiton, qui contient une bonne proportion de cuivre, circulaient encore au Canada, aux États-Unis, en France et en Grande Bretagne notamment. Des pièces en bronze, un autre alliage de cuivre, circulent encore de nos jours. Sauf exceptions ce sont toujours les même métaux (or, argent et cuivre ou alliage de cuivre) qui ont servi à fabriquer presque toutes les monnaies depuis au moins 2000 ans. Durant l’empire en effet, Rome frappait le bronze et l’argent comme elle le fit au cours des deux derniers siècles de la république. Elle se mit à frapper le laiton à partir du règne d’Auguste. L’auréus d’or, qui n’était frappé que de façon sporadique pour des besoins spécifiques avant Auguste – au pouvoir depuis 43, seul maître en 31 et empereur de 27 avant J.-C. jusqu’à sa mort en l’an 14 après J.-C.– devint une monnaie officielle et fut frappé régulièrement depuis.

Un peu comme elle a varié au cours du 20e siècle, la quantité de métal précieux des pièces variait aussi à l’époque de l’empire. Par exemple, Auguste changea la proportion d’argent entrant dans la composition du denier de 95 à 90%. Après plus d’un siècle de stabilité  – excepté la période da la guerre civile de  68 à 70 de notre ère durant laquelle il est momentanément descendu à 80% –   le titre du denier ne commença à s’effriter que sous Hadrien (117-138) qui débuta la dégringolade en l’abaissant à 85%. Cela se poursuit avec Antonin le Pieux (138-161) qui le fixe à 80% et Marc Aurèle (161-180) qui continue le bal en l’établissant à 75%. Vers la fin de son règne, Commode (180-192) ne fit pas bande à part lorsqu’il l’amena à 70%. La situation se détériore encore plus sous Septime Sévère (193-211), quand plusieurs baisses successives le firent tomber à 50%. Pour des raisons différentes, les pièces décimales canadiennes qui étaient composées d’argent .925 (donc d’un titre de 92,5%) depuis leur création en 1858, sont passées en 1920 à un alliage fait de .800 argent et .200 cuivre. De plus, au cours de l’année 1967 certaines dénominations ont été frappées dans deux alliages différents soit .800 et .500 argent. L’année suivante ces mêmes dénominations étaient frappées en argent .500 seulement tandis que les autres monnaies d’argent se voyaient entièrement frappées en Nickel. Des changements semblables se produisirent aux États-Unis en 1965. Les problèmes de l’empire au 3e siècle après J.-C. et l’inflation qui en découla eurent pour résultat la frappe de monnaies plaquées et d’autres sans aucune trace d’argent.

Des similitudes se trouvent aussi dans d’autres caractéristiques physiques des monnaies d’argent. Le denier, monnaie très importante qui eut un poids théorique de 3.38 g. pendant près de deux siècles, est moins d’un gramme plus lourd que le 10 cents mais moins de 2,5 grammes plus léger que le 25 cents canadien en argent. De dimensions très pratiques, le denier, avec son diamètre qui se situe entre 17 et 19 mm se compare parfaitement avec le 10 cents, d’un diamètre de 18 mm depuis ses débuts. Le 10 cents américain faisait quant à lui 19 mm de diamètre en 1796, 18.8 en 1809 et fait 17.9 mm depuis 1837. L’épaisseur du denier sur la tranche est proche de celle des 25 cents canadiens et américains. Cependant le relief plus élevé sur les pièces antiques nous dicte que son épaisseur est au moins égale.

Les monnaies de l’empire, contrairement à celles de la république, portent pratiquement toutes un portrait sur l’avers comme sur la majorité des monnaies modernes. Le denier montrait la plupart du temps l’empereur couronné de lauriers mais parfois tête nue et presque toujours de même de profil, comme cela est le cas sur les monnaies que l’on connaît. Les pièces canadiennes arborent une tête laurée de la reine Victoria sur toutes les monnaies de 1858 et 1859 et sur les 5 et 10 cents jusqu’en 1901. Les pièces du début du règne d’Élisabeth II nous la montrent avec une couronne de lauriers de 1953 à 1964. Georges VI est tête nue sur une grande partie des monnaies émises sous son règne dans plusieurs régions du globe. Le buste de Georges III (1760-1820) est montré lauré, drapé et/ou cuirassé sur les pièces britanniques à son effigie, rien de nouveau là non plus, les romains élaborant des portraits laurés, drapé et/ou cuirassés très réalistes 18 siècles plus tôt!

L’utilisation de personnifications de contrées et autres allégories sur les revers des monnaies remonte  – vous vous en doutez –  au temps de l’empire romain. Les romains avaient beaucoup de dieux et de déesses dans leur panthéon. Un dieu pour la guerre, un pour la mer, un autre pour le fer et le feu, une déesse pour la famille, une autre pour la beauté et l’amour etc. Ils personnifiaient sur les monnaies des portions du monde antique devenues ou en voie de devenir province romaine: Roma (Rome), Germania (la Germanie), Pannonia (la Pannonie) et même Britannia (la Bretagne) qui apparaît entre autres sur un sesterce d’Antonin le pieux, assise sur un petit rocher, accoudée sur son bouclier et tenant une lance dans sa main gauche avec « BRITANNIA » en périphérie de 8 heures à 4 heures, légende identique à celle des pièces de cuivre de ce type émises de 1672 à 1967 en Grande-Bretagne. N’oublions pas la ligne d’exergue sous laquelle il y avait les lettres « S C » pour « SENATO CONSULTO » (avec l’accord du sénat) en lieu et place du millésime. La ressemblance est tellement frappante que cette monnaie ou une autre représentation de cette figure a nécessairement servi de modèle.

Les qualités (la clémence, l’indulgence, la libéralité, la noblesse, la patience, la piété, le génie, le courage etc.) et les espérances (l’abondance, l’équité, la fécondité, la fortune, la justice, la monnaie, la paix, la sécurité, l’espérance, la fertilité etc.) de l’empereur et du peuple romain étaient représentées sur beaucoup de monnaies sous la forme de personnages avec des objets symboliques qui aidaient à les reconnaître. Des représentations du genre se trouvent sur plusieurs types de jetons coloniaux qui ont circulé au Canada : La justice ou le commerce sur le demi penny de 1812 entre autres ou l’on voit une femme assise sur un ballot tenant dans son bras gauche une corne d’abondance remplie de fruit (très utilisée chez les personnifications romaines) et dans sa main droite une balance en est un exemple. Les jetons Leslie  & sons arborent une femme debout tenant une balance dans sa main gauche et une épée dans sa main droite. La légende nous indique que c’est soit la prospérité, la prudence ou la candeur. Sur les jetons « TRADE & NAVIGATION » de Nouvelle-Écosse on a une femme assise sur un ballot, tenant une petite branche d’arbre dans une main et dans l’autre un caducée (baguette de laurier ou d’olivier surmontée de deux petites ailes, et autour de laquelle s’entrelacent deux serpents) symbolisant la paix et le commerce.

Le degré de civilisation atteint par les romains et les innovations qu’ils ont apportées à la monnaie ne cessent pas de m’étonner. Les légendes dans la périphérie sauf dans la partie inférieure et les points sur le pourtour qui donnent un coté esthétique inégalé aux pièces de monnaies sont des principes qui étaient appliqués par les maîtres graveurs de l’antiquité. La langue latine sur les pièces canadiennes, britanniques et autres a été maintenue dans le monde occidental depuis la création des monnaies romaines. Les abréviations étaient abondantes dans la légende et certains mots étaient réduits à une seule lettre. De la même façon que de nos jours, le nom du monarque et ses titres faisaient partie de la légende. Prenez une pièce de Georges VI datant d’avant 1948. À l’avers vous avez : « GEORGIVS VI  D: G: REX ET IND: IMP: » ce qui donne : « GEORGIVS VI DEI GRATIA REX ET INDIAE IMPERATOR » et qui signifie : « QUE DIEU BENISSE GEORGES VI ROI ET EMPEREUR DES INDES ». Voici un exemple de légende sur une monnaie de Antonin le pieux: « IMP CAES T AEL HADR ANTONINUS AUG PIVS P P » ce qui donne : « IMPERATOR CAESAR TITVS AELIVS HADRIANVS ANTONINUS AUGUSTUS PIVS PATER PATRIAE » ce qui signifie : « EMPEREUR CAESAR TITVS AELIVS HADRIEN ANTONIN AUGUSTE PIEUX PERE DE LA PATRIE. Enfin, l’exergue, partie inférieure en retrait dans le champ et séparée du type par un trait au revers n’est pas plus une invention moderne que le reste. À l’époque on y mettait parfois une partie de légende ou des marques d’atelier.

En conclusion, nos monnaies et leurs caractéristiques nous viennent tout droit de l’antiquité, grâce au produit du travail de qualité exceptionnelle laissé par les civilisations romaines, mais seulement après avoir essuyé un recul important au moyen âge (476 – 1453) et même avant. Le portrait très rudimentaire  – lorsque présent, parce que presque disparu –  et les types fort simples souvent seulement formés de croix et des petits disques bien ordinaires le démontrent clairement. Le produit des ateliers de monnaies repris du poil de la bête après la renaissance lorsque le maître graveur et les autres employés de la monnaie, sous l’influence du directeur ou de d’autres fonctionnaires de l’État, se mirent à appliquer à nouveau les principes utilisés sur les monnaies de l’empire. Peut-être est-ce parce que c’est à cette époque que commence à se développer véritablement la numismatique, et qu’en les étudiant, les chefs d’États se sont rendu compte qu’elles étaient tout à fait représentatives de ce qu’un morceau de métal de bon titre, de bon poids, de bonne dimension et d’un très beau côté artistique doit être pour avoir une monnaie forte, stable et acceptée de tous.

Les origines des monnaies de l’empire romain

Le titre aurait pu être « Les origines de la monnaie », tout simplement, mais mon but étant de faire une série d’articles sur les monnaies de l’empire romain, et plus spécifiquement de Auguste, le premier empereur (27 avant J.-C. – 14 après J.-C.) jusqu’au  début du 4e siècle après J.-C., je vais tenter de vous faire connaître non seulement les moyens d’échange et monnayages à l’origine des monnaies tels que nous les connaissons, mais aussi comment le système monétaire de l’empire romain a été façonné à partir d’origines totalement indépendantes de celles des autres monnayages, bien que ses derniers l’aient grandement influencé.

Une pièce de monnaie peut être définie comme étant un morceau de métal précieux frappé et portant une marque, un type ou une inscription indiquant qu’elle a été émise par une autorité qui en garantit son poids et sa pureté. Des traces de moyens d’échange plus primitifs qui ont précédé les monnaies telles qu’on les connaît aujourd’hui ont aussi survécu aux ravages du temps. Le troc, qui avait lieu lorsqu’une nécessité disponible était échangée par son propriétaire contre une autre nécessité dont il avait besoin, devenait souvent difficile quand il n’était pas si aisé de fournir la marchandise immédiatement : Bien des problèmes pouvaient survenir.

C’est probablement la raison qui a poussé les gens de l’Antiquité à se servir de moyens d’échange tels que des bovins, des moutons et des instruments de boucherie qui devinrent bientôt – le bétail surtout – des standards de valeur. Par exemple, au 5e siècle avant J.-C les romains devaient payer leurs amendes (lire peines pécuniaires édictées par la loi) en tête de bétail. Le mot « pécuniaire » vient du mot latin « pecus » qui signifie troupeau ou bétail et le mot français « salaire » vient du latin « salarium » (ration de sel), ce qui laisse supposer que le sel était probablement aussi un autre standard de moyen d’échange.

La transition vers une société d’agriculture de plus en plus florissante, avec les nombreux produits de consommation qu’elle engendrait, et par le fait même, les besoins qu’elle créait, a amené les membres des communautés à réfléchir sur des moyens d’échange plus commode que le bétail, qui n’était pas très pratique. Le besoin de numéraire (de « numerare », compter) s’est vite fait sentir. Rome, dont la date de fondation se situe entre 754 et 752 avant J.-C., devint la puissance dominante du centre de l’Italie au cours du 4e siècle avant J.-C et fut contrainte de trouver le moyen de faciliter les échanges. Abondant en Italie centrale, le bronze que les romains utilisaient à d’autres fins depuis longtemps devint l’étalon de référence et commença à être utilisé comme méthode de paiement dans les échanges commerciaux.

Au début, des morceaux de bronze irréguliers et sans forme précise (« AEs rude ») étaient coulés dans ce but. Par la suite, vers 335 avant J.-C., ils coulaient des barres rectangulaires ou lingots, qu’ils échangeaient d’après leur poids. Environ un demi-siècle plus tard – probablement sous l’influence des monnaies grecques, faites en argent et inventées depuis des siècles déjà, vers 650 avant l’ère chrétienne – ces barres furent remplacées par des séries de monnaies massives dont le nom pourrait être traduit par gros bronze (« AEs grave »). Leur épaisseur mesurant presque autant que leur diamètre, et coulées, elles aussi, en raison de leurs dimensions, elles n’étaient pas très commodes à transporter car la plus grosse pièce, l’as libral, comme son nom l’indique, pesait effectivement une livre romaine, soit 324,72 grammes.

Comme vous le constatez, les monnaies romaines sont apparues assez tardivement et ont une tradition monétaire entièrement indépendante des autres monnayages, le métal et la manufacture étant très différents. Ces monnaies, si on peut les appeler ainsi, portaient seulement des motifs simples. L’avers est au type de Janus, le dieu dont les deux visages opposés symbolisent le début et la fin de l’année, nous permet de penser que janvier, le premier mois de l’année n’a pas été nommé ainsi par hasard ! Au revers se trouve une proue de navire, symbole de puissance sur les mers. On y ajoutait des traits verticaux pour indiquer les unités en livres et des globules pour les unités en onces. Il est aisé de comprendre d’où viennent les unités de mesure de poids en livres (abréviation lb.) et en onces lorsqu’on constate qu’elles puisent leurs sources dans  les mots latins « libra » et « uncia ».

La livre romaine se divisait en 12 onces – sans doute par commodité car malgré sa petitesse ce nombre est divisible par plusieurs facteurs – et il fut très facile de créer des subdivisions sans obliger des calculs compliqués. L’as libral, l’unité à partir de laquelle le système monétaire romain va se développer était la monnaie étalon. Les dénominations de cet imposant monnayage étaient des multiples ou des fractions de l’as libral. Un dupondius valait 2 as, le tressis ou tripondius valait 3 as, le quincussis pour 5 as et le decussis quant à lui, 10 as. Les divisionnaires se répartissent comme suit : le dodrans (3/4 de livre ou 9 onces), le bes (2/3 de livre ou 8 onces), le semis (1/2 livre ou 6 onces), le triens (1/3 de livre ou 4 onces), le quadrans (1/4 de livre ou 3 onces), le sextans (1/6e  de livre ou 2 onces) et l’uncia, 1/12e de livre ou 1 once. Pour compléter le tableau ajoutons la semuncia (1/2 once) et le quartuncia ou quart d’once.

Quelques-unes une de ces dénominations telles que le dupondius (2 as), l’as, et le quadrans (1/4 d’as) seront conservés pendant environ 5 siècles, soit plus de 2 siècles après le début de l’empire pour les monnaies de cuivre, de bronze ou de laiton, bien que, comme nous allons le voir, le poids de l’as va « fondre » jusqu’à ne peser que 1/30e de livre sous Auguste. Semi-libral (au poids d’une demi livre) avant 211 – car il avait commencé à déprécier au début de la seconde guerre Punique (vers 221–201 avant J.-C.) – l’as poursuit sa dégringolade par dévaluations successives et très vite, à cause de cette guerre contre Carthage, son poids va diminuer pour n’être qu’oncial (au poids d’une once) à la fin des guerres Puniques. Il sera stabilisé plus tard au cours du 2e siècle avant J.-C. sur l’étalon semi-oncial (1/2 once ou 1/24e de livre) avant que Auguste, lors de sa réforme du monnayage le fit passer d’une taille de 1/24e de livre à 1/30e de livre pour un poids théorique de 10.824 g.

Il est très intéressant de pouvoir calculer le poids théorique des pièces. Cela est possible grâce au grand nombre de spécimens survivants et à la connaissance du poids de la livre romaine mentionnée plus haut à 324,72 g. Je me demandais comment les Européens pouvaient connaître cette valeur de façon aussi précise. L’explication pourrait bien se trouver dans le fait que La livre romaine qui fut introduite en Gaule resta en usage en France jusqu’à Charlemagne, roi des Francs (768–814) et empereur d’occident (800–814) qui fit passer la livre mérovingienne de 325,63 g. à 407,94 g. Les documents traitant de ce changement doivent contenir de précieux renseignements car la précision de ces données est tout à fait remarquable.

Au milieu du 3e siècle avant J.-C., la commodité plus grande de l’argent avait enfin été constatée et les didrachms, les plus anciennes monnaies d’argent romaines, furent fabriquées sur le modèle des monnaies grecques de cette époque pour circuler dans les régions ou ces monnaies étaient utilisées. L’usage de l’argent grandit et après la première guerre Punique (265–241 avant J.-C.) il devint le métal le plus utilisé chez les romains.

Réorganisé en 211 avant J.-C., le système monétaire romain connaît un grand changement : les pièces ne sont plus coulées mais frappées. Le denier, pièce d’argent d’environ 18 mm de diamètre est créé avec un titre de 95% et une taille à 1/72e de livre, pour un poids théorique de 4.51 g. Celui-ci devient sans contredit la pièce maîtresse du monnayage. On crée aussi le victoriat (16 mm de diamètre), de même métal et titre mais taillé au 1/96e de livre pour un poids théorique de 3.38 g. Il pèse ¾ de denier ou 3 scrupules au lieu de 4 (1 scrupule = 1,1275 g.). Le quinaire, en argent lui aussi vaut la moitié d’un denier (1/144e de livre) et pèse 2.26 g. Le denier connais très tôt une petite dévaluation peu après 207 avant J.-C., passant d’une taille de 1/72e à 1/82e de livre, nous amenant à calculer un poids théorique de 3.96 g.

En 136 avant J.-C. le denier, qui valait 10 as depuis sa création, est augmenté à 16 as sans aucune altération de poids ni de titre ! Vers 100 avant J.-C., après une période durant laquelle les deux valeurs sont en conflit, celle de 16 as l’emporte. Cela n’est rien comparé à ce qui va suivre. Dès 122 avant J.-C, en partie à cause de, l’établissement de nombreuses communautés sur des nouvelles terres, mais aussi en raison du nombre croissant de colonies étrangères, d’importantes émissions de monnaies avaient été nécessaires. Pour pallier la demande, le Sénat, qui contrôlait le monnayage, avait commencé à frapper des pièces de moins bon aloi – et même des deniers plaqués – et ce parmi celles de bonne qualité…

Cette pratique, très répandue durant la guerre sociale de 91–89 avant J.-C. (conflit entre Rome et ses alliés italiens) amena la confusion et eût pour résultat d’engendrer l’inflation car personne ne pouvait dire ce qu’il possédait réellement et la confiance du public fut gravement ébranlée. En 87 avant J.-C. l’État se déclarait lui-même en faillite et ordonnait que toutes les dettes soient payées au quart de la valeur. Il semble que tout rentra dans l’ordre par la suite, le denier étant frappé de nouveau selon les normes. Hormis ce désastreux épisode du dernier siècle de la République (vers 509–27 avant J.-C.) le denier n’a été altéré d’aucune façon avant que Auguste ne diminue le titre des monnaies d’argent. Le denier et le quinaire, qui conservèrent leur poids, seront les principales pièces d’argent de l’empire jusque sous Gordien III (238–244).

Sources:

Michel Prieur et Laurent Schmitt – Monnaies XIII. Paris, 2001.

Encyclopedia Britannica. Chicago, 1961.

Grand Larousse Encyclopédique. Paris, 1960.

Nouvelle Encyclopédie du Monde. Paris, 1962.

Christine Masson – Les Monnaies. Paris, 1977.

Philip Grieson – Monnaies et Monnayages, Paris 1975.

Burton Hobson – Je collectionne les monnaies, Montréal, 1983.

Matthew Boulton le visionnaire

Matthew_Boulton_-_Carl_Frederik_von_BredaIntensément ambitieux, visionnaire, ingénieux, astucieux, perspicace et intelligent, Matthew Boulton n’était pas un inventeur, contrairement à son partenaire James Watt mais il était un entrepreneur, un innovateur, un homme aux solutions avant-gardistes et un perfectionniste.

Matthew Boulton est né à Birmingham en 1728. Son père était un fabriquant de jouets spécialisé dans la manufacture de boucles et de boutons métalliques à Snow Hill. En 1749 il devint associé dans l’entreprise déjà florissante de son père. Le jeune Matthew décida qu’au lieu de suivre la tradition établie de se spécialiser dans une seule étape de la fabrication, il bâtirait une entreprise assez grande qui engloberait entièrement tout le processus de manufacture et dont il ferait lui-même la coordination et le marketing. Les locaux de Snow Hill étant trop petits pour cette grande ambition, les Boultons achetèrent Sarehole Mill où ils roulèrent des feuilles de métal pendant 6 ans.

À la mort de son père en 1759 Matthew mena l’entreprise seul et 2 ans plus tard il abandonna Sarehole Mill en faveur d’une autre fabrique dans un endroit appelé Soho. Pour réaliser ses plans il dût la reconstruire au complet, la transformant en la Soho Manufactory qui en ce temps-là fut la plus célèbre manufacture du monde. Terminée en 1765, elle devint la première attraction touristique de Birmingham.

View_of_the_manufactory_of_Boulton_&_Fothergill_in_Birmingham_by_Francis_Eginton_1773S’élevant sur trois étages, la Soho Manufactory ne contenait pas que des ateliers de travail mais aussi des bureaux de design, des magasins et des logements pour les travailleurs. À son apogée il y avait 1000 personnes qui y travaillaient. Contrairement aux autres manufactures qui n’étaient que des ateliers de travail menés et possédés par différentes personnes partout dans la ville, Matthew Boulton avait tout regroupé sous son égide et sous un seul toit.

Les travailleurs et ouvriers qualifiés qu’il employait étaient aussi habiles que ceux des autres manufactures. Le secret de Boulton était d’équiper ses travailleurs de tous les dispositifs possibles pour sauver du travail, s’assurant ainsi qu’ils soient plus productifs.

Boulton se dit qu’il pourrait bâtir sa réputation dans la fabrication de bijoux, d’argenterie et d’objets plaqués de la plus haute qualité. Dans ce but il recruta les meilleurs designers and ouvriers qualifiés qu’il pût trouver et il insistait toujours pour que tout ce qui sera produit à Soho, bien que vendu à bon marché, devra atteindre la meilleure qualité possible pour le prix. Les nombreux exemples de sa production au musée de la ville de Birmingham sont là pour attester qu’il a bel et bien atteint ses buts.

La même intégrité s’appliquait dans ces relations avec les travailleurs. Il refusait d’employer les jeunes enfants. Dans les années 1770 il introduisit quelque chose qui ressemblait à une assurance collective: les employés contribuaient 1/60e de leur salaire qui en cas de maladie ou de blessure, recevaient jusqu’à 80% du même salaire. Il s’assurait toujours que les ateliers soient propres, bien éclairés et bien ventilés.

En 1768, Metthew Boulton rencontra James Watt. Il s’intéressa à son invention (la machine à vapeur) et vit qu’elle pourrait lui servir. En 1772, le partenaire de Watt, John Roebuck, un industriel en faillite céda ses parts dans le brevet de Watt à Boulton à qui il devait 1200 livres sterling. En 1775, après six années infructueuses pour faire fonctionner son invention convenablement et voyant que son brevet obtenu en 1769 arrivait à terme, Watt pris officiellement Boulton comme associé et grâce aux connaissances de ce dernier en lobbying parlementaire, ils obtinrent l’extension du brevet jusqu’en 1800, et ce malgré de puissantes oppositions.

En moins de deux ans, ils résolurent les problèmes de design, assemblèrent les deux premières machines, les installèrent et les firent fonctionner. Au début la firme Boulton & Watt faisait fabriquer les pièces par des sous-contractants car les capitaux leur manquaient. La première utilisation de la machine fut l’assèchement des puits de mines d’étain. Grâce à l’extension du brevet, Boulton & Watt avait le monopole de la fabrication de la machine à vapeur de Watt jusqu’à la fin du siècle et il est estimé que durant cette période ils en vendirent 450.

Mais comment calculer le prix des machines? Selon les expériences menées par James Watt avec des chevaux, le travail effectué par un cheval équivalait à 550 livres-pieds par seconde. En convertissant ce nombre en livres-miles par heure, en sachant qu’il y a 0,0001893 mile dans un pied et 0.0002777 heure dans une seconde on arrive à près de 375 livres-miles par heure ou pour ainsi dire, l’équivalent du travail à effectuer pour tirer 75 livres à 5 miles à l’heure par exemple. Watt appela ce taux de 550 livres-pieds par seconde un HORSEPOWER (nous donnant ainsi le cheval-vapeur!) et s’en servit pour établir la puissance ce ses machines.

Ils se dirent que si une machine en particulier était capable de produire, disons, 20 chevaux-vapeur, ils chargeraient à l’acheteur un tiers de l’économie annuelle estimée (comparée à tout ce que 20 chevaux peuvent engendrer comme frais) chaque année pendant 25 ans. Ce tiers de l’économie annuelle fut généralement estimé à 5 livres sterling par cheval-vapeur par année. C’était trop peu: une machine de 4 CV coûtait 327 livres. À 20 livres par année il faut plus de 16 ans pour récupérer la mise. Pour les machines plus puissantes ils faisaient mieux: une machine de 50 CV coûtait 1727 livres et 7 ans suffisaient pour couvrir les frais car ils recevaient dans ce cas 250 livres par année.

En réalité, le cheval-vapeur calculé par Watt est 50 % plus élevé que le travail qu’un cheval moyen peut soutenir durant une journée de labeur: les expériences furent menées avec de forts chevaux de trait utilisés sur de courtes périodes… Mais le taux qu’il calcula est demeuré: en Grande Bretagne un cheval vapeur est égal à 33 000 livres-pieds par minute (550 livres-pieds/seconde X 60 secondes/minute). En France il a été déterminé à 4500 Kg-m/min – un chiffre rond égal à 32 549 livres-pieds par minute (4500 kg-m/min X 2,20462 livres/kg X 3,2808 pieds/m) – soit 98,63 % de la valeur anglaise. Watt a donc « inventé » le cheval vapeur et comme vous le savez sans doute, son nom a été donné à une unité de puissance équivalente au travail de 1 joule par seconde. Une note en passant, le cheval-vapeur vaut 736 W.

Boulton voulait toujours que les machines soient entièrement fabriquées dans sa manufacture et il était convaincu qu’il y aurait une grande demande pour une machine à vapeur qui pourrait produire un mouvement de rotation constant et suggéra que les fabriques de coton du Lancashire serait un bon marché à exploiter. En 1781 les brevets furent obtenus et la machine à vapeur à mouvement rotatif fut un succès. Un autre développement que Boulton demanda fut un gouvernail de contrôle de vitesse de machine, ce que Watt conçût en 1788. Petit à petit, la firme Boulton & Watt accumula le capital nécessaire.

En 1794 les fils des deux hommes furent officiellement admis dans l’entreprise. En 1796 une usine de fabrication de machines à vapeur fut construite sur Birmingham Canal à environ un mile de la manufacture. Baptisée The Soho Foundry, au tournant du siècle elle avait déjà produite à peu près 50 machines à vapeur. En contraste avec les dures batailles des débuts, l’entreprise qui continua de progresser jusqu’au milieu du 19e siècle sous la direction de James Watt junior et de Matthew Robinson Boulton fut extrêmement profitable.

À la toute fin du 18e siècle les monnaies britanniques étaient encore frappées au balancier en utilisant les vieilles méthodes de préparations des coins et des flans, et c’était sans compter les pauvres contrôles de qualité qu’on exerçait. Cela avait pour résultat que même des pièces de dénomination identiques avaient une apparence et des dimensions différentes, ce qui laissait le champ libre aux escrocs comme les rogneurs et les faussaires. Les premiers volaient du métal en rognant la tranche, réduisant ainsi le diamètre des pièces. Cette pratique se faisait en toute impunité car il était presque impossible de détecter une monnaie rognée en raison des diamètres variables des pièces.

Les seconds profitaient de la technologie très facile à copier qu’utilisait la Royal Mint: à Birmingham les manufacturiers de Boutons de métal et de Jetons de marchands et de publicité en cuivre en faisait usage à tous les jours pour gagner légalement leur vie. Il semble que cette même technologie était autant utilisée pour fabriquer des imitations de monnaies de cuivre car les pièces de cuivre semblent avoir été sujettes à la production de faux par une industrie de masse de la contrefaçon. Souvent des pièces d’émission royale étaient fondues et le métal servait à la fabrication d’imitations plus minces et de diamètre plus ou moins correct, donc de poids inférieur.

Dans une lettre datée du 14 avril 1789 Matthew Boulton écrivait à Lord Hawkesbury: « Au cours de mes trajets, j’ai observé que je recevais en moyenne deux tiers de fausses pièces de cuivre comme change aux péages, etc. Je crois que le mal augmente de jour en jour car la fausse monnaie est introduite en circulation par la plus petite classe de manufacturiers qui l’utilise pour payer une grande partie des salaires des pauvres gens qu’ils emploient. » Ce grave problème était connu de tous: les marchands vendaient leurs produits au double du prix en monnaie contrefaite. Elles étaient ensuite revendues en Écosse où le meilleur prix pouvait être obtenu.

Après avoir construit la plus grande entreprise de manufacture du monde et avoir été partenaire dans la mise au point et la commercialisation de la machine à vapeur de Watt, comme si ce n’était pas assez, il décida à l’âge de 59 ans de se lancer à l’assaut du problème du rognage et de la contrefaçon que le gouvernement était incapable de résoudre. Comme nous allons le voir, en atteignant son but il inventera la monnaie telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il savait exactement ce qu’il devait faire pour battre les rogneurs et les faussaires: il devait améliorer énormément le design, les méthodes de fabrication et la frappe des monnaies. Chaque pièce devra être parfaite, donc toute imperfection conduirait immédiatement à la détection d’une imitation, ce qui signifierait aussi que chaque pièce d’une dénomination particulière devra avoir EXACTEMENT les même dimensions, que ce soit le poids, le diamètre et l’épaisseur.

Il recruta alors les meilleurs graveurs de France et d’Allemagne. Il améliora le processus de fabrication pour avoir un contrôle de première qualité et pour couronner le tout, il installa dans une partie de la manufacture, dès alors appelée la Soho Mint, une batterie de 8 presses pour battre monnaie. Essentielle pour la qualité des monnaies, ces presses devaient avoir la puissance d’une machine à vapeur de Boulton & Watt pour les actionner. Son système était très ingénieux: bien que les 8 presses n’étaient actionnées que par une seule machine à vapeur, chacune d’elles pouvait être actionnée et arrêtée indépendamment les unes des autres et calibrées en quelques minutes pour frapper de 50 à 120 pièces à la minute, toujours indépendamment de la vitesse des autres presses.

Les flans étaient fournis aux presses et les monnaies frappées enlevées, automatiquement. Chaque presse n’avait besoin que d’un seul travailleur pour s’en occuper et il n’avait que très peu de choses à faire. C’était tout le contraire avec les frappes au balancier, au processus long et laborieux: Les flans devaient être placés à la main par des travailleurs qui devaient ensuite faire descendre la vis (sur laquelle était fixé le coin d’avers) qu’ils devaient lancer à bras à l’aide de la verge qui la surmontait pour produire l’impact sur le flan qui reposait sur le coin de revers, en bas. Pour ajouter au pire, les flans souvent mal préparés devaient être aplatis afin de pouvoir les placer dans l’endroit prévu.

En 1791 Boulton réussit à obtenir des poids et des dimensions consistants. Trois ans plus tard il introduisit les tranches cannelées et lettrées, rendant le rognage immédiatement détectable, ce qui pourra mettant fin à cette pratique. Au cours de la même année une autre innovation fut d’inscrire la légende en creux sur une bordure surélevée, résultat difficile à copier tout en améliorant la résistance à l’usure du type principal, la bordure en absorbant la plus grande partie. En 1799 il imagina une méthode pour produire des pièces avec des tranches à rainures en diagonale très difficiles à imiter. Plus de 200 ans plus tard la Royal Mint en a encore a rattraper…

Pendant plusieurs années Boulton pressa le gouvernement anglais de lui permettre de frapper des monnaies pour la circulation domestique régulière afin d’atteindre son but. En attendant il ne produisait que des jetons et des monnaies pour les colonies étrangères car le gouvernement britannique refusait toujours de frapper toute nouvelle monnaie. Il obtint enfin ce droit par une proclamation datée du 26 juillet 1797 dans laquelle il était déclaré que « 45 millions de pièces de cuivre devront être frappées, lesquelles devront passer pour 1 penny et d’autres pour 2 pence et que chacune des pièces de 1 penny devront peser 1 once avoirdupois et que chacune des pièces de 2 pence devront peser 2 onces avoirdupois, la valeur intrinsèque étant aussi proche que possible de la valeur nominale. »

L’idéal élevé de Boulton, produire des pièces difficiles à imiter convenablement et dans laquelle la valeur de la monnaie serait pratiquement égale à la valeur intrinsèque du métal qu’elle contient se réalisa dans la production des magnifiques pièces de 1 penny et de 2 pence en cuivre de 1797, communément appelées roues de charrettes en raison de leurs rebords surélevés. Les inscriptions apparaissent en creux dans la bordure surélevée pour déjouer les faussaires aussi bien que pour réduire l’usure des légendes. Le 2 pence est impressionnant: 41 mm de diamètre et 5 mm d’épaisseur. Son poids variant de 56 à 58 grammes en fait une des pièces britanniques les plus lourdes jamais produites et la seule pièce pre-décimale (d’avant 1971) de sa dénomination.

Ces pièces furent les premières pièces britanniques régulières frappées avec des presses monétaires actionnées mécaniquement. La monnaie moderne était née. Elles sont reconnues comme telles universellement et comme nous l’avons vu elles étaient des merveilles techniques pour l’époque, bien que le 2 pence était désavantageusement lourd et encombrant. Beaucoup furent refondues vers 1800 lorsque le prix du cuivre augmenta. En 1805 la valeur intrinsèque du contenu métallique dépassait la valeur faciale d’environ 30%.

En 1798 on demanda à Boulton de réaménager la Royal Mint à Londres mais des délais bureaucratiques firent en sorte que ce travail demeura inachevé à sa mort, le 17 août 1809. En attendant la Soho mint continua de produire des pièces pour la nation: le succès de ses produits conduisit à la signature d’un contrat pour le halfpenny et le farthing de 1799 et d’un autre quelques années plus tard pour l’émission de 1806 incluant des pièces de 1 penny. Il semble que vers 1800 il ait inventé le travail à la chaîne: une bande de métal entrait dans la ligne d’un côté et des pièces de monnaies en sortaient à l’autre bout. La Royal Mint convertit ses installations pour des presses actionnées par des machines à vapeur en 1813.

Sources:

Passages de différents articles sur Matthew Boulton trouvés sur Internet

Encyclopedia Britannica – London, William Benton, 1961.

Allan Hailstone – Coincraft’s 1999 Standard Catalogue of English and UK Coins 1066 to Date. London, 1999.

Photos Wikipédia