Viger, DeWitt et Cie devenu Banque du Peuple
Durant les années 1830 la province du Bas-Canada et particulièrement Montréal et ses environs sont secoués par des malaises économiques et politiques. La Banque de Montréal fondée en 1817 est la propriété d’anglophones et contrôle le commerce en grande partie entre Montréal, l’Angleterre et les États-Unis.
De leur côté les canadiens français préoccupés par les problèmes politiques amplifiés par un sens patriotique commencent à s’éveiller au secteur commercial.
En 1831 quelques francophones appuyé par des anglophones sensibles aux besoins monétaires de ces derniers tentent de fonder une banque commerciale rencontrent les désirs francophones mais pour diverses raisons dont un climat politique défavorable, le projet n’aura pas de suite.
Deux ans plus tard, soit en février 1835 les promoteurs reviennent à la charge. La création d’une banque francophone est essentielle pour permettre aux canadiens-français d’émerger sur le plan commercial. Aidé par quelques anglophones dont Benjamin Brewster, Jacob DeWitt, H.B. Smith particulièrement les Louis-Michel Viger, avocat et notaire, Charles S. Delorme, entrepreneur, Edouard R. Fabre, marchand-libraire et autres mettent en place un concept nouveau dans le domaine bancaire, soit une société en commandite nommée Viger, DeWitt & cie. Il s’agissait d’une société privée formée de deux sortes de sociétaires qui souscrivaient des fonds pour une « banque ». Il y avait les sociétaires principaux qui assumaient les dettes de la société avec droit à la gérance et les sociétaires associées dont la responsabilité se limitait à l’équivalence de leur mise avec aucun droit dans l’administration de la société. Par contre les deux catégories de sociétaires avaient droit au même dividende sur une entente de dix ans. Ceci marquera l’entrée des canadiens-français dans le domaine bancaire.
La société Viger, DeWitt & Cie avait un capital social maximum de 75 000£ soit 300 000$ fractionné en actions de 12£ 10 sh ou 50$. Dès que le tiers de ce montant aura été versé, la société pourra débuter ses opérations. Il est à noter qu’il ne fut pas nécessaire de demander à la Législature une charte bancaire en raison du caractère privé de la société et que des traites à demandes seraient tirés à la place de papier monnaie. D’ailleurs une charte bancaire dans le contexte d’époque aurait été probablement refusé devant d’éventuelles pressions politiques auprès des Législateurs.
Peu après, la société se réunit et forme le premier conseil d’administration sous la présidence de Louis-Michel Viger notaire et cousin de Louis-Joseph Papineau, on procède à l’engagement du caissier principal au nom de Pierre-Louis Letourneaux, des locaux sont loués au 29, rue Saint-François-Xavier dans le vieux Montréal et des billets sous forme de traites sont commandés à New York en coupures de 1$, 2$, 5$ et 10$.
L’ouverture de la dite société se fait le 11 juillet 1835 avec l’appui de plusieurs sympathisants francophones malgré les violentes critiques et d’un boycottage de ses ennemis qui l’accusaient de préparer le financement des rebelles politiques. En 1837 la société fait frapper des jetons sous le nom de Banque du Peuple telle que les autres banques afin de pallier à la pénurie de numéraire. Au moment des troubles politiques, la société suspend temporairement ses activités comme ce sera le cas pour les banques. Le président Viger est accusé de prendre une part active aux troubles politiques. De son côté, M. DeWitt, vice-président concentre ses efforts pour sauvegarder l’institution et qui reprend ses activités peu après. En mai 1839, quelques chiffres de son bilan annuel sont publiés dans les journaux de l’époque : Capital souscrit : 119 187£ dont 88 000£ versé, le montant ds traites en circulation dépasse les 60 000£ les dépôts acceptés donnent 74 500£ pour des actifs de 166 400£. Le dividende versé se compare aux autres institutions bancaires, soit dans l’ordre de 7 à 8%.
En 1843 l’entente de dix ans fixée au moment de la fondation s’achève et le conseil d’administration de la société demande au Parlement une incorporation bancaire sous le nom Banque du Peuple qui leur sera accordée en mai 1844. Elle pourra opérer sur les mêmes bases que ses rivales telles que la Banque de la Cité et la Banque de Montréal. Une réorganisation s’en suivit et l’ouverture de la Banque du Peuple sur le plan juridique fut fixée officiellement au 1er mai 1845.
La banque connait des succès immédiats et les administrateurs décident de procéder à l’achat de l’ancien édifice de la Banque de Montréal en 1847 au prix de 46 000$ afin d’y établir un siège social permanent à l’institution. La Banque du Peuple continua son ascension et acquit une grande renommée grâce à une prudence qu’elle exerça dans ses prêts et ses placements. Elle continua à favoriser les investissements anglophones désireux d’investir dans cette institution qui par sa prudence l’empêcha d’empocher des gains plus qu’intéressants. Si bien qu’en 1871 les 2/3 de ses actions étaient la propriété d’anglophones. Elle était devenu la 5e banque en importance au pays sur les 34 banques en opération. À la même époque, elle trouve et vend son édifice au Gouvernement Fédéral pour 100 000$ et elle achète un terrain et fait ériger un nouvel édifice de 40 000$ de l’autre côté de la Place d’Armes voisin de Life Association of Scotland et qu’elle occupera en 1872.
Survient la crise économique des années 1875-1880 qui lui fait perdre l’argent de certains prêts mais elle réussira contrairement à plusieurs autres banques, a verser des dividendes de l’ordre de 4 à 6% à ses actionnaires. La banque avait des règlements différents des autres institutions bancaires car les administrateurs étaient responsables des dettes de la banque contrairement à ses rivales qui limitaient les pertes au double de leurs actions. Donc en raison de cette clause, la Banque du Peuple conserva dans l’administration de ses affaires un esprit très conservateur et elle ne fut pas tentée par des spéculations risquées.
Durant la décade des années 1880 – 1890, la banque adopte une politique beaucoup plus libérale et accroît du coup ses opérations d’une façon dynamique. En 1885 à l’occasion de son 50e anniversaire de son histoire, elle ne peut verser pour la première fois un dividende à ses actionnaires, résultats d’une période d’un marasme économique dû à un climat peu rassurant et à des spéculations de certains courtiers qui donnent les premières craintes pour l’avenir de la banque. On doit prendre des mesures énergiques en réduisant le capital versé des actionnaire de 25% et l’appliquer pour éliminer de mauvaises dettes et pour recommencer un nouveau fonds de réserves. Les premiers signes de mécontentements des actionnaires apparaissent. En raison de ses règlements, les administrateurs ne sont pas obligés d’élaborer au grand jour leurs affaires, leurs décisions. Par contre les directeurs jouissant d’une compétence, donne un nouvel élan à la banque et pour la première fois, on procède à l’ouverture de succursales à Québec, à Trois-Rivières et à St-Rémi de Napierville. En 1887 avec le président Jacques Grenier et le directeur général Boursquet, la banque avait pris beaucoup d’expansion. L’actif s’était accrut de 190% et les dépôts du double. D’autres succursales sont ouvertes ailleurs en province. Le succès apparaît très grand. La banque se paye un nouvel édifice imposant en 1893 en achetant deux édifices voisins et le fait agrandir avec une nouvelle façade qu’elle occupera en 1894.
Soudain on apprend que le directeur général Boursquet démissionne au printemps 1895. Des prêts qu’il a accordés avec peu de garanties totalisent 1 500 000$ et sans le consentement des administrateurs. On apprend qu’il s’est enfuit vers les États-Unis dans le but d’éviter des poursuites éventuelles. Ce geste provoque une ruée aux guichets de la banque où les déposants retirent leurs argents. Entre juin et juillet 1895, une somme de 2 000 000$ est retirée. Les autres banques viennent en aide mais en vain.
La Banque du Peuple dût fermer ses portes le 17 juillet 1895. Un comité fut aussitôt formé de représentants du Gouvernement et des banques pour étudier l’affaire. La recommandation du comité fut tout simplement de liquider les affaires. Les raisons invoquées furent nombreuses mais particulièrement les prêts effectués dépendant trop de la section des dépôts à court terme, les prêts risqués trop nombreux. En somme ce fut une mauvaise gestion et un manque de surveillance de la part des administrateurs.
Le papier-monnaie de la banque en circulation fut remboursé et les déposants reçurent que 75% de leurs dépôts. De plus certains administrateurs furent ruinés pendant que les actionnaires perdent leurs actions.
En résumé, la Banque du Peuple marqua l’entrée des canadiens-français dans le monde bancaire. Elle était née d’inspirations politiques, patriotique et commerciales. Elle répondit aux besoins de son temps mais autant elle fut conservatrice dans ses politiques durant les 50 premières années, autant elle échoua dans ses politiques durant ses dix dernières années.