Les monnaies de l’empire romain, plus près de nous que l’on imagine!
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les monnaies modernes ont telles ou telles caractéristiques et d’où viennent-elles? Vous serez surpris d’apprendre qu’il n’y a pas eu grand changement au sujet des pièces de monnaies durant les deux derniers millénaires! Vous me voyez sans doute venir avec mes grands chevaux (tirant un chariot rempli de monnaies romaines!) et vous pourriez objecter que les techniques ont grandement évolué depuis. Peut-être, mais le résultat est à peu de chose près toujours le même. En ce qui concerne techniques utilisées aussi, on revient à la base préconisée par les maîtres de l’art sous l’empire romain (27 avant J.-C. – 476 après J.-C.) car les étapes de fabrication, semblables encore aujourd’hui – avec quelques ajouts ici et là – ne sont que de plus en plus raffinées et automatisées . Il faut mentionner qu’il y a eu une fort longue période (dès après le milieu du 3e siècle de notre ère jusqu’à la fin de la renaissance) que j’appellerais de régression et de stagnation, quant à la qualité du produit dont les numismates classiques sont si friands aujourd’hui. Cela n’était que partie remise car les connaissances et le désir d’atteindre une certaine perfection momentanément perdus furent retrouvés petit à petit à partir du 16e siècle lors des derniers soubresauts de la frappe au marteau dans les puissances économiques du temps comme La France et l’Angleterre.
Il y a moins de trois-quarts de siècle les monnaies d’or circulaient encore en Amérique et dans le monde entier. Il y a un peu plus d’un quart de siècle les monnaies d’argent aussi. Il n’y a pas si longtemps, des monnaies de cuivre ou en alliage de cuivre comme le laiton, qui contient une bonne proportion de cuivre, circulaient encore au Canada, aux États-Unis, en France et en Grande Bretagne notamment. Des pièces en bronze, un autre alliage de cuivre, circulent encore de nos jours. Sauf exceptions ce sont toujours les même métaux (or, argent et cuivre ou alliage de cuivre) qui ont servi à fabriquer presque toutes les monnaies depuis au moins 2000 ans. Durant l’empire en effet, Rome frappait le bronze et l’argent comme elle le fit au cours des deux derniers siècles de la république. Elle se mit à frapper le laiton à partir du règne d’Auguste. L’auréus d’or, qui n’était frappé que de façon sporadique pour des besoins spécifiques avant Auguste – au pouvoir depuis 43, seul maître en 31 et empereur de 27 avant J.-C. jusqu’à sa mort en l’an 14 après J.-C.– devint une monnaie officielle et fut frappé régulièrement depuis.
Un peu comme elle a varié au cours du 20e siècle, la quantité de métal précieux des pièces variait aussi à l’époque de l’empire. Par exemple, Auguste changea la proportion d’argent entrant dans la composition du denier de 95 à 90%. Après plus d’un siècle de stabilité – excepté la période da la guerre civile de 68 à 70 de notre ère durant laquelle il est momentanément descendu à 80% – le titre du denier ne commença à s’effriter que sous Hadrien (117-138) qui débuta la dégringolade en l’abaissant à 85%. Cela se poursuit avec Antonin le Pieux (138-161) qui le fixe à 80% et Marc Aurèle (161-180) qui continue le bal en l’établissant à 75%. Vers la fin de son règne, Commode (180-192) ne fit pas bande à part lorsqu’il l’amena à 70%. La situation se détériore encore plus sous Septime Sévère (193-211), quand plusieurs baisses successives le firent tomber à 50%. Pour des raisons différentes, les pièces décimales canadiennes qui étaient composées d’argent .925 (donc d’un titre de 92,5%) depuis leur création en 1858, sont passées en 1920 à un alliage fait de .800 argent et .200 cuivre. De plus, au cours de l’année 1967 certaines dénominations ont été frappées dans deux alliages différents soit .800 et .500 argent. L’année suivante ces mêmes dénominations étaient frappées en argent .500 seulement tandis que les autres monnaies d’argent se voyaient entièrement frappées en Nickel. Des changements semblables se produisirent aux États-Unis en 1965. Les problèmes de l’empire au 3e siècle après J.-C. et l’inflation qui en découla eurent pour résultat la frappe de monnaies plaquées et d’autres sans aucune trace d’argent.
Des similitudes se trouvent aussi dans d’autres caractéristiques physiques des monnaies d’argent. Le denier, monnaie très importante qui eut un poids théorique de 3.38 g. pendant près de deux siècles, est moins d’un gramme plus lourd que le 10 cents mais moins de 2,5 grammes plus léger que le 25 cents canadien en argent. De dimensions très pratiques, le denier, avec son diamètre qui se situe entre 17 et 19 mm se compare parfaitement avec le 10 cents, d’un diamètre de 18 mm depuis ses débuts. Le 10 cents américain faisait quant à lui 19 mm de diamètre en 1796, 18.8 en 1809 et fait 17.9 mm depuis 1837. L’épaisseur du denier sur la tranche est proche de celle des 25 cents canadiens et américains. Cependant le relief plus élevé sur les pièces antiques nous dicte que son épaisseur est au moins égale.
Les monnaies de l’empire, contrairement à celles de la république, portent pratiquement toutes un portrait sur l’avers comme sur la majorité des monnaies modernes. Le denier montrait la plupart du temps l’empereur couronné de lauriers mais parfois tête nue et presque toujours de même de profil, comme cela est le cas sur les monnaies que l’on connaît. Les pièces canadiennes arborent une tête laurée de la reine Victoria sur toutes les monnaies de 1858 et 1859 et sur les 5 et 10 cents jusqu’en 1901. Les pièces du début du règne d’Élisabeth II nous la montrent avec une couronne de lauriers de 1953 à 1964. Georges VI est tête nue sur une grande partie des monnaies émises sous son règne dans plusieurs régions du globe. Le buste de Georges III (1760-1820) est montré lauré, drapé et/ou cuirassé sur les pièces britanniques à son effigie, rien de nouveau là non plus, les romains élaborant des portraits laurés, drapé et/ou cuirassés très réalistes 18 siècles plus tôt!
L’utilisation de personnifications de contrées et autres allégories sur les revers des monnaies remonte – vous vous en doutez – au temps de l’empire romain. Les romains avaient beaucoup de dieux et de déesses dans leur panthéon. Un dieu pour la guerre, un pour la mer, un autre pour le fer et le feu, une déesse pour la famille, une autre pour la beauté et l’amour etc. Ils personnifiaient sur les monnaies des portions du monde antique devenues ou en voie de devenir province romaine: Roma (Rome), Germania (la Germanie), Pannonia (la Pannonie) et même Britannia (la Bretagne) qui apparaît entre autres sur un sesterce d’Antonin le pieux, assise sur un petit rocher, accoudée sur son bouclier et tenant une lance dans sa main gauche avec « BRITANNIA » en périphérie de 8 heures à 4 heures, légende identique à celle des pièces de cuivre de ce type émises de 1672 à 1967 en Grande-Bretagne. N’oublions pas la ligne d’exergue sous laquelle il y avait les lettres « S C » pour « SENATO CONSULTO » (avec l’accord du sénat) en lieu et place du millésime. La ressemblance est tellement frappante que cette monnaie ou une autre représentation de cette figure a nécessairement servi de modèle.
Les qualités (la clémence, l’indulgence, la libéralité, la noblesse, la patience, la piété, le génie, le courage etc.) et les espérances (l’abondance, l’équité, la fécondité, la fortune, la justice, la monnaie, la paix, la sécurité, l’espérance, la fertilité etc.) de l’empereur et du peuple romain étaient représentées sur beaucoup de monnaies sous la forme de personnages avec des objets symboliques qui aidaient à les reconnaître. Des représentations du genre se trouvent sur plusieurs types de jetons coloniaux qui ont circulé au Canada : La justice ou le commerce sur le demi penny de 1812 entre autres ou l’on voit une femme assise sur un ballot tenant dans son bras gauche une corne d’abondance remplie de fruit (très utilisée chez les personnifications romaines) et dans sa main droite une balance en est un exemple. Les jetons Leslie & sons arborent une femme debout tenant une balance dans sa main gauche et une épée dans sa main droite. La légende nous indique que c’est soit la prospérité, la prudence ou la candeur. Sur les jetons « TRADE & NAVIGATION » de Nouvelle-Écosse on a une femme assise sur un ballot, tenant une petite branche d’arbre dans une main et dans l’autre un caducée (baguette de laurier ou d’olivier surmontée de deux petites ailes, et autour de laquelle s’entrelacent deux serpents) symbolisant la paix et le commerce.
Le degré de civilisation atteint par les romains et les innovations qu’ils ont apportées à la monnaie ne cessent pas de m’étonner. Les légendes dans la périphérie sauf dans la partie inférieure et les points sur le pourtour qui donnent un coté esthétique inégalé aux pièces de monnaies sont des principes qui étaient appliqués par les maîtres graveurs de l’antiquité. La langue latine sur les pièces canadiennes, britanniques et autres a été maintenue dans le monde occidental depuis la création des monnaies romaines. Les abréviations étaient abondantes dans la légende et certains mots étaient réduits à une seule lettre. De la même façon que de nos jours, le nom du monarque et ses titres faisaient partie de la légende. Prenez une pièce de Georges VI datant d’avant 1948. À l’avers vous avez : « GEORGIVS VI D: G: REX ET IND: IMP: » ce qui donne : « GEORGIVS VI DEI GRATIA REX ET INDIAE IMPERATOR » et qui signifie : « QUE DIEU BENISSE GEORGES VI ROI ET EMPEREUR DES INDES ». Voici un exemple de légende sur une monnaie de Antonin le pieux: « IMP CAES T AEL HADR ANTONINUS AUG PIVS P P » ce qui donne : « IMPERATOR CAESAR TITVS AELIVS HADRIANVS ANTONINUS AUGUSTUS PIVS PATER PATRIAE » ce qui signifie : « EMPEREUR CAESAR TITVS AELIVS HADRIEN ANTONIN AUGUSTE PIEUX PERE DE LA PATRIE. Enfin, l’exergue, partie inférieure en retrait dans le champ et séparée du type par un trait au revers n’est pas plus une invention moderne que le reste. À l’époque on y mettait parfois une partie de légende ou des marques d’atelier.
En conclusion, nos monnaies et leurs caractéristiques nous viennent tout droit de l’antiquité, grâce au produit du travail de qualité exceptionnelle laissé par les civilisations romaines, mais seulement après avoir essuyé un recul important au moyen âge (476 – 1453) et même avant. Le portrait très rudimentaire – lorsque présent, parce que presque disparu – et les types fort simples souvent seulement formés de croix et des petits disques bien ordinaires le démontrent clairement. Le produit des ateliers de monnaies repris du poil de la bête après la renaissance lorsque le maître graveur et les autres employés de la monnaie, sous l’influence du directeur ou de d’autres fonctionnaires de l’État, se mirent à appliquer à nouveau les principes utilisés sur les monnaies de l’empire. Peut-être est-ce parce que c’est à cette époque que commence à se développer véritablement la numismatique, et qu’en les étudiant, les chefs d’États se sont rendu compte qu’elles étaient tout à fait représentatives de ce qu’un morceau de métal de bon titre, de bon poids, de bonne dimension et d’un très beau côté artistique doit être pour avoir une monnaie forte, stable et acceptée de tous.